Les Clippers se payent un Big 4 avec James Harden

C’est le genre de nouvelle qui secoue le championnat NBA comme le snap de Thanos impacte instantanément l’univers tout entier. L’onde de choc est telle qu’elle a fait le tour du monde, chaque fan de basket est passé par toutes les couleurs en même temps – sauf ceux qui avaient la tête ailleurs et qui ont accusé le coup en différé. Quand un joueur majeur traverse le pays pour rejoindre une équipe déjà bien aise, au surlendemain d’une belle victoire à domicile contre San Antonio (+40), c’est très perturbant. Et c’est excitant. Les 76ers de Philadelphie se débarrassent d’un problème qu’ils trainaient comme un boulet depuis cet été, reçoivent essentiellement des joueurs de complément et des assets. Los Angeles se renforce avec une superstar supplémentaire sans céder de pièce majeure – mais non sans dommages. Passé le choc, on se demande si c’est une bonne nouvelle pour les Clippers (certains crient à la catastrophe), si cela change la donne à l’Ouest pour la course au titre NBA, si l’effectif alléchant sur le papier aura une chance réelle de se matérialiser sur le terrain. En tous cas, c’est un rebondissement inattendu et terriblement captivant, comme en produit de temps en temps la ligue américaine, et qui mérite toute notre attention.

Le cas Harden

James Harden a toujours été un cas à part dans la constellation NBA. Déjà à OKC, pour ses trois première saisons pro (2009-2012), c’était un sixième homme exceptionnel, qui n’entrait dans aucune case (16,8 points de moyenne sur sa dernière année). C’est d’ailleurs pour ça qu’il est parti – il savait qu’il ne serait jamais reconnu à sa juste valeur dans l’ombre des deux superstars locales, Kevin Durant et Russell Westbrook (seulement 7 matches sur 220 dans le cinq de départ). Il a donc obtenu une issue improbable, un transfert à Houston qui lui a permis de devenir lui-même une superstar incontestée (25,9 points de moyenne dès sa première saison et jusqu’à 36,1 points lors de sa 7ème année) et de signer un contrat historique avec Adidas ($200 millions pour 13 ans). Si on savait qu’il avait le talent et la stature pour devenir le fer de lance d’une équipe NBA, on ne pouvait imaginer le niveau auquel il allait se produire. James Harden a révolutionné l’approche du jeu pour un combo guard, à la fois meneur de jeu et shooteur, en produisant régulièrement des triples-doubles à plus de 30 points, et même jusqu’à 50 points (50 points, 10 rebonds, 11 passes décisives le 13 décembre 2018 contre les Lakers de Lebron James, victoire 126-111). Du jamais vu. Il a donc bien fait de quitter OKC.

Et Houston, par l’intermédiaire de Daryl Morey (general manager des Rockets), a bien fait de lui confier non seulement le ballon, mais également une carte blanche historique. Malheureusement, cela n’a pas transcendé le palmarès sportif des Rockets, qui n’ont pas réussi à atteindre la finale NBA en huit saisons malgré de nombreuses tentatives avec des configurations différentes (Dwight Howard, Chris Paul et Russell Westbrook sont passés par là). Mais cela a eu son effet. Après deux étapes à Brooklyn puis Philadelphie, James Harden est l’un des rares joueurs NBA (avec Kevin Durant) à avoir toujours non seulement obtenu un salaire maximum, supposé l’engager durablement avec son club, mais à avoir également systématiquement exigé et obtenu un transfert dans un autre club de son choix. Il arrive donc à Los Angeles en conquérant, ayant fait plier les 76ers. Et pour les Clippers, c’est un joueur de calibre MVP, qui reste sur un bilan mitigé avec ses anciens clubs, qui a pu avoir une attitude discutable sur le terrain, mais qui garde toutes ses qualités et peut redevenir avec la motivation retrouvée dans un projet sportif ambitieux. Entouré de trois superstars en forme (Kawhi Leonard, Paul George et Russell Westbrook), James Harden est dans des conditions idéales pour réaliser sa meilleure prestation et décrocher, enfin, le titre NBA tant convoité.

Les 4 californiens réunis comme des dominos

Cela ressemble aujourd’hui à un plan machiavélique brillamment exécuté, mais chaque étape relève du miracle. D’abord, il y a eu Kawhi Leonard et Paul George (été 2019), au prix de 6 premiers choix de draft (dans le seul échange avec OKC pour PG, Kawhi débarquant de Toronto en tant que free agent). Kawhi ne serait jamais venu chez les Clippers sans Paul George, c’est donc lui qui a déclenché cet échange improbable. Ensuite, c’est Paul George qui a fait venir Russell Westbrook, puisque c’est à cause de Westbrook que Paul George était resté à Oklahoma City (deux saisons ensemble) au lieu de signer chez les Lakers, comme initialement prévu. Et aujourd’hui, c’est visiblement Russell Westbrook qui a fait venir James Harden (coéquipiers pour la troisième fois après leurs débuts à OKC et leur retrouvailles à Houston). Il n’y a donc aucun souci à se faire, ces quatre joueurs s’entendent parfaitement bien, sont tous originaires de la région et partent immédiatement à la conquête d’un titre de champion NBA. Les Nuggets sont prévenus. Les Lakers aussi.

Le cas Batum

En France, le transfert de Nicolas Batum passe mal. Joueur revitalisé depuis son arrivée à Los Angeles en soutien des superstars locales après un passage difficile à Charlotte, le capitaine des Bleus avait juré fidélité à l’autre franchise californienne (après les Lakers) malgré les blessures à répétitions des superstars en question et les déconvenues du club en playoffs. Libre, pas très bien payé par rapport aux tendances du marché, le vétéran bien heureux avait renouvelé sa confiance en cette équipe et en avait été récompensé avec un contrat très correct (23 millions sur deux ans), pensant sincèrement que son pari sportif allait finir par payer. Il visait légitimement une bague avec les Clippers cette saison. Malheureusement, le transfert d’un joueur comme Harden nécessitant une certaine créativité dans l’assemblage des contre-parties, rien de tout ça n’aura pesé suffisamment lourd pour empêcher l’équipe de saisir sa chance. Business is business. Et curieusement, c’est ce contrat honorable bien mérité qui aura servi de monnaie d’échange non seulement pour les Clippers, mais aussi pour Philadelphie. En effet, les 4 joueurs récupérés par Philadelphie (Marcus Morris, Robert Covington et KJ Martin accompagnent Batum vers l’est) sont tous dans la dernière année de leur contrat et peuvent être échangés de nouveau dans 60 jours, ce sont donc des atouts (assets) très intéressants. Ils peuvent servir soit de monnaie d’échange pour obtenir un joueur majeur, soit pour libérer de la masse salariale en vue d’une acquisition l’été prochain. Dans l’intervalle, ces joueurs ont donc deux mois pour se rendre indispensables sur le terrain avec les 76ers, si on leur en donne l’occasion (un temps de jeu correct et un vrai rôle dans une équipe déjà organisée sans Harden, absent, et sans eux).

Business is business

Le capitaine des bleus a donc été trahi pour la bonne cause – la possibilité d’aligner 4 superstars, donnant un avantage considérable aux Clippers de Los Angeles dans une course au talent à l’Ouest. Avec Zubac, les californiens ont désormais un cinq de départ capable, s’il fonctionne, de rivaliser avec celui du champion en titre, les Denver Nuggets. Mais également de faire trembler les défenses de toute la ligue, Lakers compris. C’était une opportunité que Steve Ballmer, le propriétaire des Clippers, ne pouvait laisser passer. Son club est all-in, il veut gagner un titre NBA cette année. Les dés sont jetés.

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