Les Busts en NBA : Tentative d’explication


Anthony Edwards, LaMelo Ball, James Wiseman, Obi Toppin, Killian Hayes, Issac Okoro ou encore Devin Vassell. Tous ces jeunes prospects à très forts potentiels sont attendus parmi les premiers picks de la prochaine draft qui, épidémie de Covid19 oblige, se tiendra le 16 octobre prochain.

Certains deviendront All Star, d’autres seront peut-être même intronisés au Hall of Fame, le Panthéon de la balle orange. En revanche, et comme chaque année, plusieurs ne parviendront pas à satisfaire les attentes autour d’eux et marqueront l’histoire, non pas grâce à leur niveau de jeu, mais bien à cause de leur capacité à décevoir.

Pourquoi certains joueurs, que tout prédestine à un avenir glorieux en NBA, tombent finalement dans l’oubli le plus total ? Qui sont-ils et quelles en sont les raisons ?


Des joueurs draftés trop jeunes ?

C’est un fait, les rookies NBA draftés sont de plus en plus jeunes : Lors de la draft 2017, 20 joueurs de moins de 20 ans ont été draftés. Un nombre important, particulièrement quand on s’aperçoit que lors de drafts antérieures, notamment en 2005, ce nombre était plus faible alors même que les jeunes de 17 et 18 ans étaient éligibles.

Les franchises NBA semblent donc de plus en plus prêtes à faire confiance à des jeunes encore verts plutôt que des joueurs ayant terminé leur cursus universitaire. Cela peut se comprendre dans un sens : Plus le joueur est jeune, plus la franchise a le temps de le faire progresser, de le préparer à l’univers NBA, de le façonner de sorte qu’il puisse réussir dans la Grande Ligue.

Néanmoins, la réticence de nombreux joueurs à terminer leur cursus universitaire (à l’image de Ben Simmons qui confiait ne pas savoir ce qu’il avait appris à LSU) complique la tâche des recruteurs NBA : moins de matchs joués, moins de possessions à analyser et donc une plus grande possibilité de tomber sur un bust.

Les scouts mandatés par les franchises doivent ainsi analyser le jeu de joueurs très jeunes, avec un nombre de matchs assez limité. La marge d’erreur est plus faible, tout en sachant que la NBA et la NCAA sont des mondes qui ne ressemblent pas vraiment. Réussir en NCAA ne veut pas dire qu’on réussira nécessairement en NBA.

En observant ce tableau, on peut s’apercevoir que, plus les années passent, plus les joueurs choisis au début de la draft (les lottery picks) sont jeunes. En 1995, l’âge moyen des picks 1 à 15 était de 21,5 ans alors qu’en 2017, ce nombre est descendu en dessous de 20, signe du rajeunissement progressif des différentes cuvées.


Une arrivée difficile dans le microcosme NBA pour des gamins mal préparés.

Bust. Voilà le nom avec lequel nous désignons de nombreux joueurs anciens comme actuels aujourd’hui. Pour faire simple, il s’agit d’un terme utilisé pour décrire un joueur de la NBA qui a été choisi dans les premières positions de sa draft, dont on avait des attentes élevées, mais qui ne s’est jamais approché du niveau attendu.

Prenons un exemple récent avec la Draft de 2013 :
Comme lors des 29 dernières années, et pour la toute dernière fois, David Stern s’avance pour annoncer le premier choix.
With the first pick in the 2013 NBA Draft, the Cleveland Cavaliers select… Anthony Bennett from Toronto, Canada.

Stupeur au Barclays Center. Le joueur de 20 ans formé chez les Rebels d’UNLV du côté de Las Vegas n’était pas attendu aussi haut. Selon son coach de UNLV, Dave Rice, Bennett était « un joueur unique, mais différent, c’était clair. Mais son futur s’annonçait brillant. C’était le style de joueur qu’on souhaite avoir chaque saison à la Fac. Il était tellement talentueux. Il ne pensait qu’à l’équipe, était facile à coacher, voulait gagner. Plus le match était important, mieux il jouait. »

Avec des statistiques solides (16,1 points, 8,1 rebonds et 53,3% de réussite aux tirs) lors de sa saison universitaire, on se demande encore comment un joueur décrit comme tel a-t-il pu décevoir à ce point ? Point encore plus important, comme les scouts des Cavs, eux qui ont une ribambelle d’outils statistiques tous plus perfectionnés les uns que les autres, ont-ils pu faire une telle erreur ? Dès le premier match on se rend bien compte que le canadien n’a absolument pas le niveau d’un first pick et encore moins celui de la NBA.

Un exécutif raconte : « J’étais choqué que les Cavs l’aient pris en première position. Je me disais « C’est un mauvais choix, mais il sera probablement un bon 6ème homme mais certainement pas, c’est un mauvais choix, ce mec va sortir de la ligue ».

Négligence de la part des scouts de Cleveland au sujet de Bennett ? Peut-être, comme l’explique un scout anonyme, qui pense que la franchise de l’Ohio « n’a pas eu un rapport complet sur Bennett. Le staff de UNLV tolérait beaucoup de choses. Les Cavs ont eu une version optimiste de son éthique de travail et de son attitude. »

source : Mike Segaar – Reuters

Comme dit précédemment, les joueurs draftés sont de plus en plus jeunes et donc, la durée de leur cursus universitaire, de plus en plus courte. L’analyse se fait ainsi sur un échantillon moins conséquent, avec une marge d’erreur forcément plus importante.

Mais est-ce vraiment la faute du natif de Toronto ? A cette époque, le management des Cavs est en perdition totale, avec à sa tête un Chris Grant qui veut absolument faire d’Anthony Bennett LE joueur de demain. Mais pour un garçon aussi jeune, c’est trop de responsabilités et ce dernier vivra une saison rookie désolante avec des pourcentages désastreux.
Mais dans un contexte moins anxiogène et dans une franchise mieux cadrée, le jeune canadien aurait pu faire une bien meilleure carrière si on l’avait laissé se développer quelque peu. Ou peut être pas. Nous ne saurons jamais.

Cela nous amène à une nouvelle réflexion : le cadre dans lequel un jeune arrive en NBA. Arriver à 18 ans chez les Spurs, une des meilleures organisations de la ligue, ce n’est pas la même chose que d’arriver chez les Cavs ! Est-ce que Tony Parker ou Manu Ginobili auraient eu la même carrière s’ils avaient été draftés par une autre franchise ? Rien n’est sûr.


Des environnements néfastes ?

Outre les blessures qui peuvent toutefois témoigner d’un manque d’éthique de travail, l’un des problèmes majeurs causés par une arrivée trop rapide en NBA est une mauvaise gestion de ce que l’on appelle les « à cotés ».
Tout de suite plongés dans le gigantesque océan médiatique qu’est la NBA, certains jeunes, mal préparés ou mal conseillés, peuvent rapidement sombrer.

Interrogé récemment par France Info, Kevin Séraphin, ancien joueur des Wizards, le confirme : « Aujourd’hui, un joueur NBA gagne vite un million de dollars par an. Ça donne forcément des idées à des personnes mal intentionnées. La fameuse Draft n’est qu’une étape.

Cette première sélection est déjà très compliquée, mais il faut encore trouver sa place, jouer afin de survivre et de pouvoir prolonger l’aventure au-delà de deux ans. Le plus dur en fait, c’est d’accepter la transition entre le basket comme passion et le basket comme métier à plein temps. »

Les jeunes semblent donc avoir du mal à faire la transition entre le monde amateur et le monde professionnel. Tous n’ont pas, à l’instar de Steph Curry par exemple, un père qui a fait carrière dans la grande ligue et donc un modèle à suivre. De nombreux joueurs ne roulaient pas sur l’or avant d’arriver dans la NBA et peuvent se retrouver comme perdus face à cet afflux d’argent : ils essayent tant bien que mal d’imiter les dépenses de leurs coéquipiers vétérans ce qui en réalité, n’est pas une bonne chose, car ces derniers ont souvent des contrats plus longs, mieux rémunérés et surtout déjà de l’argent de côté.

Pas vraiment au courant des vertus d’une bonne alimentation, de nombreux jeunes se gavent de fast foods à longueur de journée, ce qui n’est, évidemment, pas la meilleure manière de prendre soin de son corps. Certains peuvent même se retrouver en difficulté face à des tâches plutôt banales : un exécutif de la ligue racontait qu’il avait un jour observé un grand espoir ayant du mal à « ouvrir un compte en banque ou payer ses factures ».

source : Mark Ralston – AFP via Getty Images

Propulsés dans la jungle qu’est la NBA, ces jeunes prospects doivent garder la tête froide et s’adapter rapidement à la situation. Trevor Ariza, drafté à l’âge de 19 ans en 2004 par les Knicks l’explique :

Le plus gros ajustement que j’ai dû faire était probablement d’être si loin de chez moi à un si jeune âge, je ne m’étais jamais absenté de chez moi aussi longtemps. Si l’on n’est pas bien dans sa tête, dans son esprit, on ne peut être performant en NBA.

Dans une ère où les réseaux sociaux sont rois, il peut être difficile de rester focaliser sur la balle orange. Et ce n’est pas Lamar Odom qui nous dira le contraire ! Dans son autobiographie, “Darkness to Light” (De l’obscurité à la lumière), l’ancien champion NBA avec les Lakers explique qu’il « pense avoir dépensé plus de 100 millions de dollars » pour de la drogue. Il ajoute qu’il a « dû payer beaucoup d’avortements » au cours de sa carrière, car « il faisait l’amour avec six femmes par semaine en moyenne. »

Le vétéran des Blazers confirme les propos de son ancien coéquipier :

Trouver quelque chose à voir avec mon temps libre a été une autre chose à laquelle j’ai dû m’adapter, il n’y a que peu d’heures que vous pouvez passer dans le gymnase, en particulier en jouant à plus de 80 matchs par saison. J’ai eu du mal à trouver des choses à faire avec tout le temps libre que nous avions.

Un phénomène encore bien présent de nos jours, qui nous rappelle qu’avoir des vétérans dans le vestiaire, qui connaissent les rouages de la NBA et savent conseiller les moins expérimentés, est primordial…
Prenez le jeune espoir des Pistons, Sekou Doumbouya, qui a tout pour devenir un grand joueur, avec des qualités athlétiques qui correspondent parfaitement au style de la NBA d’aujourd’hui.

Cependant, il est régulièrement réprimandé par son coach, Dwayne Casey, qui lui reproche un manque de concentration et de maturité. Rien de plus normal, quand on voit que l’ancien joueur du CSP Limoges a déjà partagé ses highlights… à la mi-temps d’un match ou que ses échauffements d’avant match consistent à imiter Kylian Mbappé.


L’exemple glaçant de Robert Swift

Pendant de longues années, la NBA autorisait les joueurs de 18 ans, c’est-à-dire les lycéens, à pouvoir s’inscrire à la Draft. Avec plus ou moins de réussite… LeBron James, Kevin Garnett pour ne citer qu’eux, se sont parfaitement adapté au jeu NBA et sont devenus des stars interplanétaires.

Pour d’autres cependant, l’expérience fut bien moins concluante et David Stern, ancien et regretté commissionnaire de l’époque, s’inquiéta de voir ces jeunes talents se présenter trop tôt à la Draft, sans prendre le temps d’obtenir le moindre diplôme. L’exemple de Robert Swift est sans doute le plus frappant.

Sélectionné en 12ème position de la cuvée 2004 par les Seattle SuperSonics, l’intérieur de 2m13 ne confirmera jamais le semblant de potentiel entraperçu au lycée de Bakersfield, en Californie. Pire, après de graves blessures à répétition, Swift sombre dans l’alcool, la drogue ( héroïne entre autres ) et même dans les cambriolages… Une véritable descente aux enfers pour un joueur qui aurait pu faire une carrière au moins honnête en NBA.

Probablement échaudé par les histoires de ce genre, David Stern met en place en 2006 le one and done, ce qui veut dire que les joueurs américains doivent désormais attendre leurs 19 balais pour se présenter à la Draft et que par conséquent, ils sont dans l’obligation de passer, pour au minimum un an, par la case NCAA.

Un moyen de faire grandir quelque peu ces jeunes pousses avant de les jeter dans le grand bain. Mais ces derniers semblent de plus en plus réticents à passer par la case NCAA, empire lucratif qui génère des millions et des millions (de dollars) chaque année. En effet, les joueurs universitaires ne sont pas rémunérés et si certains vont toucher le pactole au cours de leur carrière dans la grande ligue, d’autres vont la voir se terminer sans rien toucher.

L’an dernier, la blessure spectaculaire de Zion a relancé le débat : et si Williamson s’était gravement blessé et avait compromis le reste de sa carrière ? En avril dernier, c’est Jalen Green, présenté comme le meilleur lycéen du pays, qui a choisi de snober la NCAA. L’année prochaine, il jouera en G-League, l’antichambre de la NBA, comme il l’a récemment annoncé à Yahoo Sports.

En 2018, Adam Silver, le boss de la NBA, s’interrogeait déjà sur le problème :

De notre côté, nous estimons que la Draft est meilleure quand on a la possibilité de voir ces jeunes jouer à un haut niveau avant de venir en NBA. D’un autre côté, on pense que la question est de savoir, en termes de succès immédiats, si ce n’est pas mieux pour nous d’interagir avec eux lorsqu’ils sont plus jeunes. Seront-ils meilleurs s’ils viennent en NBA à 18 ans, en utilisant la G-League pour leur formation et leur apporter du temps de jeu ? Tout en sachant que pour les meilleurs d’entre eux, il ne fait aucun doute qu’ils pourraient être performants dès 18 ans.

source : NCAA Champion Magazine

Alors que le nombre de one-and-done ne cesse d’augmenter au fil des drafts, le plus ancien et célèbre défenseur d’une entrée rapide en NBA, Spencer Haywood, semble réticent à supprimer cette règle : « Les joueurs NCAA ne sont pas prêts pour la NBA après juste une saison » expliquait-il en 2014. Gerald Green, dernier lycéen en date choisi à la draft, renchérit : « Il y a beaucoup de joueurs qui sortent du lycée qui ne sont pas prêts. Tout le monde ne s’appelle LeBron James. »


Qu’importe la décision que prendra la NBA à propos de ce sujets-là, elle déclenchera des réactions aussi bien négatives que positives. Au final, la décision reviendra au joueur : Prendre le temps de se développer à l’université au risque de ne jamais arriver en NBA ou rejoindre directement la grande ligue sans forcément y être prêt ? Ces dernières années, la NBA a commencé à réfléchir à une solution qui pourrait permettre aux prospects les plus talentueux de gagner leur vie dès leur sortie du lycée (en G- League ?) plutôt que de s’ennuyer 1 an en NCAA sans toucher un seul dollar. La balle est dans la main de Adam Silver. Comme toujours.

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