Un Jour Aux Jeux, La Yougoslavie a remporté l’or aux Jeux de Moscou

À moins d’un an des Jeux Olympiques de Tokyo, Clutch Time vous propose, à travers une série d’articles, de revenir sur des grands moments de basket à jamais gravés dans l’histoire des jeux.

Cette semaine Clutch Time nous ramène aux Jeux olympique de 1980, dans un contexte plus politique que sportif, le boycott des jeux de Moscou par les États-Unis verra le tournoi olympique de basket offrir un dénouement inédit pour l’ex-Yougoslavie.

LES JEUX DU BOYCOTT

Moscou 1980

Cette édition des jeux se déroule dans un contexte géopolitique sur fond de fin de détente entre les deux blocs, suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique en décembre 1979. À l’initiative des États-Unis de Carter, un mouvement de protestation international de grande ampleur entraîne un regain de tension, menaçant la tenue de l’évènement. Le Comité international olympique décide tout de même de maintenir la 22ème édition des Jeux, décision rapidement suivi d’un boycott d’une cinquantaine de pays, parmi lesquels, le Canada, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest et les États-Unis. 80 nations sont tout de même présentes pour ces jeux mais Porto Rico, l’Australie et plusieurs pays européens, la France et la Grande-Bretagne en tête, défileront sous la bannière olympique.

Cérémonie d’ouverture des Jeux de Moscou

Au-delà de ce boycott inédit, les jeux de Moscou vont tout de même offrir leur lots de moments marquants pour le sport. La « petite fée de Montréal » Nadia Comaneci, remporta quatre nouvelles médailles, dont deux en or. Les nageuses est-allemandes firent une razzia sur les podiums avec 26 breloques (12 en or). Enfin le perchiste polonais et champion olympique, Wladyslaw Kozakiewicz, adressa un bras d’honneur plein d’audace en direction du public et des officiels pour protester contre le déroulement des épreuves favorisant les athlètes soviétiques. 

Les « Gold Medal Series » De Team USA

L’absence des États-Unis d’un tournoi olympique de basket c’est un peu comme une tarte aux pommes sans les pommes. Inimaginable à l’époque pour les octuples champions olympiques et tenants du titre, de ne pas défiler, bannière étoilée en évidence, au sein d’une délégation américaine dans le stade olympique de Moscou. 

Team USA 1980

Dave Gavitt, coach de l’université de Providence, est nommé à la tête de Team USA durant l’été 1980, avec à ses côtés Larry Brown (UCLA) et Dee Rowe (UConn). Autour de plusieurs joueurs universitaires brillants (Isiah Thomas, Mark Aguirre, Sam Bowie, Rolando Blackman et Buck Williams entre autre), l’objectif est de conserver le titre olympique, reconquis quatre ans plus tôt à Montréal, et cette cuvée américaine de 1980 aurait pu être la plus jeune de l’histoire, titrée aux Jeux (vingt ans de moyenne d’âge seulement !). L’équipe va tout de même s’illustrer lors d’une série de matchs d’exhibition, sorte de tournoi olympique de substitution, durant lesquels les USA affronteront successivement des équipes composées de professionnels puis la Team USA, championne olympique en 1976. 

Une série conclue par cinq victoires pour une seule défaite opposant notamment les joueurs de Gavitt à plusieurs All-Star NBA, de George Gervin, Marques Johnson et Tiny Archibald à Dennis Johnson, Bob Lanier, et Jack Sikma en passant par Paul Westphal, Alex English, Artis Gilmore ou Magic Johnson. Cette Team USA avait malheureusement tout pour briller à Moscou autour d’un trio (Thomas, Brooks, Bowie) déjà dominant, de grosses qualités athlétiques et d’un collectif très au dessus de la moyenne. 

L’ « Ours » Soviétique

A. Belostenny (g.), A. Gomelsky, V. Tkatchenko (d.)

Depuis sa victoire, teintée de scandale à Munich (1972), l’Union Soviétique est parvenue à maintenir sa domination sur le basket mondial, remportant un deuxième titre de champion du monde en 1974 à Porto Rico, et éclipsant à nouveau les États-Unis du basket international. Une domination cependant très vite écourtée par le voisin yougoslave qui renversera les soviétiques en 1975 et 1977 aux championnats d’Europe puis en 1976 et 1978, d’abord aux Jeux de Montréal puis lors de la coupe du monde aux Philippines. Défaits lors de 13 de ses 14 confrontations face aux yougoslaves, les soviétiques mettront fin à cette humiliation lors de l’Euro de Basket italien en 1979. C’est précisément sur les bases de ce nouveau titre que le pays hôte veut construire son succès aux jeux afin de ramener une nouvelle médaille d’or olympique. En l’absence des américains, un seul adversaire obsède alors les nouveaux champions d’Europe, La Yougoslavie. 

Alexandre Gomelsky, « père » du basket russe et entraîneur légendaire de l’ASK Riga, tient de nouveau les rênes de la sélection soviétique depuis 1977 et est persuadé que ses hommes ne failliront pas, répétant sans cesse qu’aucune équipe n’est assez forte pour les empêcher de remporter l’or à Moscou. Il faut dire qu’après six années de disette face aux irrésistibles yougoslaves, l’Union Soviétique, lestée des américains, est logiquement favorite de ses jeux en 1980. Les regards sont désormais tournés vers un possible duel entre les deux sélections que certains qualifient déjà de « match du siècle ». 

Sergei Belov

La sélection soviétique dirigée par Gomelsky est emmenée par son arrière légendaire et immense héros de Munich en finale des Jeux 1972, Sergei Belov. Le joueur du CSKA Moscou, est encore à 36 ans un joueur de basket formidable, capable d’aligner les tirs avec une précision chirurgicale et menant brillamment la sélection depuis près d’une décennie. À ses côtés d’autres joueurs majeurs se démarquent à l’image des pivots Vladimir Tkatchenko (2,23m) et Alexander Belostenny (2,14m), du meneur Stanislav Eremin et des ailiers Myshkin et Salnikov. Il s’agit alors pour Gomelsky d’assurer une continuité depuis le titre de 1979 en s’appuyant sur l’expérience de son effectif et son efficacité sous la raquette.

La « Génération Dorée » Yougoslave 

En dépit d’une nouvelle médaille en 1979, la Yougoslavie sort d’une prestation décevante aux championnats d’Europe (trois défaites dans le tournoi). Il faut dire que les yougoslaves, présents sur les podiums internationaux depuis près de quinze ans, restaient sur trois titres européens consécutifs (1973, 1975, 1977) ponctués d’un nouveau titre mondial en 1978 (après celui de 1970) et que rien ne résistait alors au basket yougoslave. L’entraîneur Petar Skansi en fera les frais, un an seulement après avoir succédé à Aleksandar Nikolić (le « Père » du basket yougoslave). Après cet échec c’est Ranko Žeravica, coach du Partizan puis de l’Étoile rouge de Belgrade, qui est désigné comme le nouvel architecte d’une équipe yougoslave qui illumine le basket mondial depuis plusieurs années mais qui souhaite rapidement tourner la page de l’échec amer de Turin, à moins d’un an des jeux.

L’équipe olympique yougoslave lors d’un stage de préparation

Accordant une grande attention à la psychologie et la préparation mental, Žeravica souhaite dynamiser l’état d’esprit et la motivation des joueurs. Pour mettre toute les chances de son côté, Ranko sélectionne non seulement les meilleurs joueurs possibles, mais s’entoure également d’un staff cinq étoiles. Bogdan Tanjević, vainqueur de la Coupe des clubs champions en 1979 (Bosna Sarajevo), Dušan Ivkovic, vainqueur de la Coupe Korać en 1979 (Jugoplastika de Split) et Bata Đorđević (Crvena Zvezda) viennent renforcer les rangs de la sélection. Nikolić absent, c’est Mirko Novosel (Cibona Zagreb), sélectionneur médaillé d’argent au Championnat du monde en 1974 et au Jeux de Montréal en 1976 qui endosse le costume de manager général de la sélection.

Dragan et Dražen sous le maillot du Partizan Belgrade

Au rang des joueurs, le cinq majeur yougoslave se compose des deux arrières Dragan Kicanović (Partizan Belgrade), Mirza Delibašić (Bosna Sarajevo), de l’ailier Dražen Dalipagić (Partizan Belgrade) et des deux intérieurs Krešimir Ćosić (Bologne) et Željko Jerkov (Jugoplastika Split). Un effectif talentueux, expérimenté et rompu au très haut niveau, complété par un banc tout aussi fourni (Zoran Slavnić, Rajko Žizic, Andro Knego, Duje Krstulović). Depuis dix ans, presque tout ces joueurs ont participé aux succès yougoslaves en club ou en sélection à l’image d’un Dražen Dalipagić, MVP de l’Euro 1977 et du Mondial 1978, confiant à l’approche des jeux. Pour préparer l’évènement, le groupe se retire alors dans les zones sauvages reculées du pays, subissant des séances d’entrainement de spartiate, comme l’école de basket yougoslave sait si bien les faire, sur des bases de footing en forêt dès 4h00 du matin et de séances de tir interminables, afin de ramener l’or olympique qui manque à leur palmarès.

« Quelle médaille espérez-vous décrocher à Moscou » ? – demandèrent des journalistes à Žeravica
« L’argent », répondit-il. Puis il ajouta : « … Au minimum » 

Ranko Žeravica, sélectionneur de la Yougoslavie

LE TOURNOI OLYMPIQUE 1980

Le tournoi olympique de basket se déroule du 20 au 30 juillet au Stade olympique de Moscou et au Palais des Sports du CSKA. Parmi les équipes qualifiées, l’Espagne de Brabender se retrouve dans le groupe B de la Yougoslavie (avec la Pologne et le Sénégal) tandis que l’URSS devra se défaire de l’Inde, la Tchécoslovaquie et du Brésil d’Oscar Schmidt.

Le Premier Tour

Le pivot yougoslave Krešimir Ćosić

Lors du premier tour, la Yougoslavie ne sera guère inquiétée par le Sénégal (104-67) et la Pologne (129-91) à l’exception de son dernier match face à des espagnols accrocheurs. Derrière son shooter naturalisé Wayne Brabender (Real Madrid) à 30 points et les barcelonais Chico Sibilio et San Epifanio, les hommes de Žeravica menés à la mi-temps, vont s’employer en deuxième période pour accrocher une troisième victoire et maintenir leur invincibilité. Les soviétiques, emmenés par un Belov impeccable, auront encore moins de difficultés à se défaire de l’Inde (121-65), du Brésil (101-88) et de la Tchécoslovaquie (99-82). L’autre groupe, celui de l’Italie de Dino Meneghin et Pierlo Marzorati, qualifiée réservera une surprise avec la qualification de Cuba au détriment de l’Australie. 

Le Second Tour

le pivot soviétique V. Tkatchenko

Yougoslaves et soviétiques vont continuer leur récital au tour suivant. Les italiens emmenés par leur pivot Meneghin se retrouvent dépassés et impuissants face au duo intenable Kicanović (31pts) Daligapić (26pts), infligeant une lourde défaite à la squadra d’entrée (102-81) suivi d’une large succès (112-84) face aux cubains. Les soviétiques les imiteront lors de leur match remporté face à l’Espagne (119-102) mais les soviétiques vont à la surprise générale perdre leur deuxième rencontre face à l’Italie (87-85) et se retrouver dans une posture délicate. Les deux favoris du tournoi doivent désormais se rencontrer dans un match déjà décisif. La Yougoslavie invaincue peut en cas de victoire s’assurer l’une des deux premières places pour jouer le titre olympique, tandis que les soviétiques dans l’impasse, doivent gagner cette rencontre afin de ne pas compromettre leurs chances de ramener une médaille.

Le « Match des Jeux »

Depuis le début du tournoi Ranko Žeravica est particulièrement attentif au niveau de préparation physique des soviétiques et du contenu de leurs matchs mais aussi des déclarations d’Alexander Gomelsky, qu’il juge trop confiant. Le sélectionneur et les joueurs le savent, remporter ce match, c’est l’assurance d’éliminer son rival de la course au titre et de terminer en tête en évitant d’affronter les soviétiques une deuxième fois en moins d’une semaine. Le triangle offensif Kicanović – Delibašić – Daligapić sera la clef de voûte du jeu yougoslave lors de cette rencontre. En misant sur la rapidité en contre attaque et la vitesse de jeu de ses extérieurs, Ranko a vu juste. Plus appliqués que les soviétiques en défense et sur les pertes de balle, l’équipe de Yougoslavie va proposer un jeu offensif de transition sur des paniers faciles en contre attaque et provoquant des fautes sous le cercle. Le pivot massif Tkatchenko suivi de son partenaire Belostenny se retrouveront rapidement sur le banc pour des fautes à répétition laissant Belov et le reste des joueurs en difficulté à la mi-temps. Plus efficaces et plus altruistes, les yougoslaves développent un basket plus collectif commettant néanmoins des pertes de balles par excès de zèle. 

L’URSS a souffert face aux yougoslaves

Rentrant aux vestiaires en tête (48-42) Žeravica distille alors ses directives à ses joueurs en confiance afin de maintenir le niveau sur la fin de match. Le début de la seconde mi-temps part sur un rythme encore plus élevé, les soviétiques parvenant même à combler leur retard grâce à un Belov encore impressionnant et en trouvant enfin des solutions dans la raquette. La défense yougoslave s’effrite et en moins de dix minutes, les hommes de Gomelsky passent devant au tableau d’affichage (54-62). Pour mettre fin à l’hémorragie Žeravica use de temps morts et les yougoslaves sortent de leur torpeur pour recoller au score à quelques minutes de la fin du match (76-76). Kicanović d’abord puis Daligapić vont menés une série d’actions conclues par plusieurs paniers pour reprendre l’avantage, mais c’était sans compter sur des soviétiques accrocheurs qui recollent immédiatement au score et arrachent l’égalisation au bout du temps réglementaire (81-81) après un tir au buzzer manqué de Daligapić. Ce même Daligapić qui, lors des prolongations va inscrire dix des vingt points de la Yougoslavie, et offrir à son équipe une victoire de prestige face au grand rival soviétique (101-91). En faisant courir les coéquipiers de Belov (20pts) tout au long de la rencontre, La Yougoslavie, Dalipagić (28pts) et Kicanović (22pts) en tête, sont parvenus à renverser les favoris du tournoi, en proposant un basket intense, dans un match décisif dans la course pour le titre. 

Le sacre olympique

Italie – Yougoslavie en finale des Jeux (86-77)

La première place est acquise et les hommes de Žeravica ne la lâcheront pas, remportant la rencontre suivante face au Brésil (96-95), dans un match encore très accroché pour s’offrir une nouvelle finale olympique, la troisième en douze ans. Dans un match beaucoup moins accroché, les italiens, comme lors de leur précédente rencontre, ne parviendront pas à renverser cette équipe yougoslave, frustrés au point de voir Dino Meneghin asséner un violent coup de genou sur Kicanović qui sortira sur civière en fin de rencontre. Derrière son trio magique qui inscrira 60 points sur la finale (86-77), la Yougoslavie s’octroie l’or et termine invaincue dans le tournoi avec huit victoires et une moyenne de 103 points marqués par match.

LE MIRACLE YOUGOSLAVE

La première génération dorée du basket yougoslave

Drazen Dalipagić (24,5pts) sera élu meilleur joueur du tournoi et c’est aux côtés de ses compatriotes Zoran Slavnic et Dragan Kicanović qu’il sera également choisi dans le meilleur cinq de la compétition. Le futur Hall of Famer NBA et FIBA a su mener l’équipe de basket la plus sexy du continent à voir jouer, au sommet, ramenant le seul titre majeur manquant à cette sélection depuis sa première participation en 1960. Cette équipe championne olympique, déjouant les pronostics qui voyaient une victoire de l’Union soviétique pourtant largement favorite chez elle, demeure encore aujourd’hui, un des meilleurs exemples de basket moderne, rapide, technique et réaliste, autour d’une génération qui aura tout gagner ensemble, depuis les championnats d’Europe en passant par les Mondiaux jusqu’au Jeux de Moscou. Ce fut également l’avant dernière grande compétition en sélection pour Ranko Žeravica qui quittera ses fonctions sur une médaille de bronze au Mondiaux de Cali en 1982. La Yougoslavie est parvenue pendant plusieurs années à entretenir ce terreau fertile de joueurs d’exception en montant à nouveau sur plusieurs podiums internationaux et en s’installant durablement sur le toit de l’Europe à la fin des années 80 autour d’une autre génération dorée, avant que la guerre ne vienne interrompre brutalement l’histoire.

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