Un Jour aux Jeux de Melbourne, Bill Russell écrasa la concurrence au tournoi olympique de basket de 1956

À moins d’un an des Jeux Olympiques de Tokyo, Clutch Time vous propose, à travers une série d’articles, de revenir sur des grands moments de basket à jamais gravés dans l’histoire des jeux.

Cette semaine Clutch Time vous propose de revenir sur cette XVIème éditions des Jeux qui se déroule pour la première fois dans l’hémisphère sud. L’occasion pour nous de revenir sur un évènement marquant lors du tournoi de basket. Plus qu’un évènement, il s’agit d’un phénomène, sorti tout droit de la fac de San Francisco, qui va traverser quasiment la moitié du globe pour martyriser les cercles et rapporter l’or olympique.

Bill Russell aux Jeux de Melbourne

Bill Russell et la naissance d’un compétiteur d’exception

Pour les amateurs de basket, Bill Russell fut la pierre angulaire, la figure de proue et l’incarnation même de la dynastie des Celtics de Boston des années 60, à savoir l’une, si ce n’est la plus grande équipe de l’histoire du sport aux États-Unis. Incroyable défenseur, contreur légendaire et défenseur hors-pair qui révolutionna les concepts et styles défensifs en NBA, le pivot fut longtemps considéré comme le meilleur joueur de l’histoire de la ligue. MVP à cinq reprises, auquel on peut ajouter douze sélections All-Star, le grand Bill fut également quatre fois meilleur rebondeur de la ligue avec près de 22.5 prises par match en carrière (21 620 rebonds au compteur), terminant même certains matchs à 51 rebonds… 51 rebonds !

Ses nombreuses distinctions individuelles sont également à mettre en parallèle avec un palmarès collectif qui ferait pâlir n’importe quel athlète. Au sein de l’effectif des Celtics de Red Auerbach, Bill Russell fut un joueur d’équipe pur et dur et n’a jamais caché son obsession pour les victoires collectives et la réussite de son équipe, celle de Boston en l’occurence, qui va littéralement broyer la ligue sur son passage entre 1956 et 1969, remportant onze titres, dont huit consécutifs. Une domination qui n’a pas son pareil dans les annales de la ligue, la franchise devenant l’égal des Yankees de New York au baseball ou encore des Canadiens de Montréal en hockey sur glace.

De la Louisiane à la Californie

William Felton Russell est né le 12 février 1934 à Monroe, en Louisiane. Sa famille déménage dans la région de la baie de San Francisco alors que le monde est plongé dans une seconde guerre mondiale, Bill a alors huit ans et ses parents partent pour trouver du travail sur la côte ouest mais surtout pour fuir la ségrégation qui sévit dans le pays. Il fréquente alors l’école secondaire de Mcclymonds à Oakland pour laquelle il commence à jouer au basket. Plutôt adroit ballon en main, le jeune Russell n’est pas considéré comme le plus offensif des basketteurs à l’époque mais sera tout de même remarqué pour ses mensurations vertigineuses, ce qui lui vaudra une bourse d’étude à l’Université de San Francisco, où il s’épanouira très vite et sera remarqué par un certain George Mikan, joueur des Minneapolis Lakers.

De la révélation à la confirmation sur les parquets de la fac

K.C. Jones et Bill Russell, joueurs des Dons de San Francisco

Avec les Dons de San Francisco, Bill Russell va rapidement faire la connaissance d’un certain K.C. Jones, meneur titulaire de l’équipe universitaire depuis un an et qui deviendra très vite son acolyte de toujours. Entre 1955 et 1957, Bill Russell et l’Université de San Francisco vont participer à trois Final Four NCAA, remportant deux titres consécutifs avec une série de 55 victoires consécutives à la clé. Il tournera sans discontinuer à plus de vingt points et rebonds et sera honoré des meilleurs distinctions individuelles lors de ses deux dernières années, notamment du titre du meilleur joueur universitaire du tournoi. La réputation du jeune pivot n’est désormais plus à faire.

Des Boston Celtics aux Harlem Globe Trotters

Bill Russell attire l’attention d’un très grands nombres de recruteurs, notamment celle de Red Auerbach, qui voit chez lui la pièce manquante à son grand échiquier aux Celtics. Mais Boston est dans une impasse à l’aube de la draft 1956. Le premier choix est revenu aux Hawks de Saint-Louis et Auerbach voulait utiliser son Territorial Pick pour récupérer également Tom Heinsohn (Holy Cross). Il va donc mettre en place un trade avec les Hawks de Ben Kerner, cédant le pivot Ed Macauley et Cliff Hagan pour récupérer le joueur drafté en 2ème position par Saint-Louis. Un pari risqué à l’époque mais nécessaire aux yeux du dirigeant-entraîneur, qui souhaite apporter une dimension athlétique et défensive supplémentaire autour des cadres Bob Cousy et Bill Sharman.

Les Harlem Globetrotters vont inviter Bill Russell 
à rejoindre leur équipe de basketball semi-amateur en 1956, 
moyennant un salaire assez attractif pour l'époque 
(on parle de plusieurs milliers de dollars par représentations). 
Russell fut néanmoins vexé et énervé contre le propriétaire
Abe Saperstein qui aurait préféré discuter avec Phil Woolpert, 
le coach des Dons de San Francisco, sans même prendre le temps 
de discuter avec le joueur. Russell refusa l’offre des Trotters 
en s'inscrivant à la draft 1956, estimant que si 
Saperstein était trop intelligent pour discuter avec lui, 
alors il jugea qu'il était également trop intelligent pour jouer
pour son équipe.

Melbourne 1956

Une année charnière

Pour autant, Russell retardera ses débuts dans la grande ligue pour concourir aux Jeux Olympiques, ne rejoignant les Celtics qu’en décembre. Déjà approché lors de son année junior, Bill Russell était néanmoins déterminé à représenter son pays et la cause afro-américaine lors des Jeux de Melbourne. Le président Eisenhower l’y avait fortement encouragé, souhaitant notamment voir le prodige de San Francisco, représenter la sélection olympique américaine de basket.

Bill Russell lors d’une épreuve de saut en hauteur

Car la popularité du jeune Russell ne s’arrêtait pas qu’au basket. Bill Russell était également l’un des tous meilleurs athlètes universitaires du pays, détenteur de la septième meilleure performance de l’année au saut en hauteur. Lors des West Coast Relays, le grand Bill avait réalisé un saut à plus de 2m10, jouant des coudes avec Charlie Dumas, futur champion olympique de l’épreuve à Melbourne et surtout futur recordman du monde de la discipline. Sa panoplie d’athlète ne s’arrêtait pas là puisque que la future légende des Celtics était également spécialiste du demi-tour de piste (400m).

Le jeune Russell va néanmoins se tourner vers la balle orange et la sélection olympique américaine de basket, pour son plus grand plaisir.

Dès que j’avais atteint l’âge fixé pour participer aux Jeux, je n’ai pas hésité un instant. Je n’y suis pas allé pour gagner mais avant tout pour participer car je voulais vraiment faire partie de cette expérience olympique.

Bill Russell, ESPN

1956, année de boycott et de tensions internationales

Organisé du 22 novembre au 8 décembre, les Jeux Olympiques se déroulent pour la première fois dans l’hémisphère sud. Autre nouveauté, la charte olympique (instaurée par Pierre de Coubertin) fut remise en cause concernant le déroulement et le lieu des épreuves olympiques. En effet un décret économique et sanitaire imposait une mise en quarantaine de six mois pour tout bétail et animaux entrant dans le pays. Le Comité International Olympique décida donc de scinder en deux l’organisation des Jeux, les épreuves équestres se déroulant à Stockholm du 10 au 17 juin 1956.

Par ailleurs, les saisons australiennes inversées par rapport au continent nord-américain, les Jeux eurent lieu durant l’hiver aux États-Unis, en plein début de saison en NBA. Le gouvernement australien du versé une somme record de près de 13,5 millions de dollars afin de dédommager les différentes ligues sportives professionnelles, privées de leurs athlètes.

Sur le plan diplomatique, une multitude d’évènements majeurs vinrent empiéter sur le terrain de l’olympisme et plus exactement dans les piscines olympiques avec l’épisode du « Bain de Sang de Melbourne », surnom donné lors de la rencontre de Water-polo entre l’URSS et la Hongrie en demi-finale du tournoi. Cet évènement se déroula moins d’un mois seulement après l’insurrection de Budapest et la repression meurtrière de l’armée soviétique dans les rues de la capitale. Au cours de cette rencontre, le joueur soviétique Valentin Prokopov donna un coup de tête au Hongrois Ervin Zádor. Les deux équipes en viendront aux mains et plusieurs joueurs seront blessés dans la piscine, au point que l’eau se teindra de rouge. La police australienne interviendra pour éviter le lynchage de l’équipe soviétique par les spectateurs et la Hongrie sera déclarée vainqueur et remportera la médaille d’or en finale.

Ervin Zádor sort le visage ensanglanté

Côté résultats et performances mémorables, Melbourne offrit à Alain Mimoun sa première médaille d’or olympique sur marathon. Âgé de 35 ans, le français avait échoué à deux reprises sur le 10 000m et le 5 000m lors des précédentes éditions, et décrocha finalement le graal sur l’épreuve reine de fond. Par ailleurs l’athlète locale Betty Cuthbert va s’illustrer, chez elle, devenant triple championne olympique sur les épreuves de sprint.


Le Tournoi olympique de 1956

Le Royal Exhibition Building fut le théâtre du plus beau tournoi de basket depuis sa création selon les spécialistes et médias invités à l’époque. Bâtiment construit en 1880 il accueillera entre 2 000 et 3 000 spectateurs en moyenne à chaque rencontre et jusqu’à 3 166 spectateurs pour la finale disputée dans la soirée du 1er décembre.

Le pays hôte fut néanmoins éliminé dès le premier tour, se contentant d’une douzième place après avoir perdu notamment son dernier match face à Formose (87-70). La présence de Formose faisait pointer le risque d’un conflit politique entre la République Populaire de Chine et la présence de la petite île, plutôt connue sous le nom de Taïwan, qui concourait avec l’appellation portugaise de « Formosa ».

Pour sa quatrième participation, la France de Robert Busnel se retrouve au 1er tour face aux Soviétiques et s’en sortira remarquablement bien en gagnant leur rencontre face à l’ogre russe (76-67). Jean-Paul Beugnot, Robert Monclar, Henri Grange et Roger Haudegand ont l’objectif de faire aussi bien que leurs aînés aux Jeux de Londres (médaille d’argent) mais vont malheureusement s’inclinés face à ces mêmes soviétiques en 1/2 finale du tournoi (49-56) avant de perdre le match de la médaille de bronze face à l’Uruguay de Carlos Blixen et Oscar Moglia (62-71).

Team USA

Team USA Basket 1956

Le sélectionneur de l’époque, Gerald Tucker, est l’entraîneur des Phillips 66ers, équipe de basket amateur en AAU (Amateur Athletic Union). Accompagné de son assistant Bruce Drake, des forces armées des USA, la sélection se faisait à l’époque entre les joueurs universitaires, les militaires et les joueurs de l’AAU. Le format voulait qu’il y est autant de joueurs amateurs que de joueurs en facs, c’est pourquoi cinq joueurs des Phillips 66ers furent sélectionnés entre autres. Charles « Chuck » Darling (C), Burdette Haldorson (F), William Hougland (F), Robert Jeangerard (F), James Walsh (G). Parmi les autres joueurs sélectionnés on retrouve également trois joueurs issus de l’armée, Williams Evans (G), Ron Tomsic (G) et Gilbert Ford (G), ainsi qu’un joueur des Wichita Vickers (AAU), Dick Boushka (F).

Au final seul le duo de San Francisco Bill Russell et K.C. Jones, accompagnés de Carl Cain, jeune ailier de l’université d’Iowa firent partis de l’aventure olympique en tant qu’universitaires. Fait unique pour l’époque, les trois joueurs afro-américains furent les premiers sélectionnés par Team USA depuis Don Barksdale lors des Jeux de Londres (1948) alors qu’aucun joueur noir n’avait été retenu quatre ans plus tôt à Helsinki. Jones et Russell deviendront assez vite les joueurs indispensables sur le terrain.

Les États-Unis en démonstration

Reversés dans le premier groupe du tournoi, les américains vont devoir se défaire des modestes équipes des Philippines, du Japon et de la Thaïlande au premier tour. Des rendez-vous plus exotiques qu’à enjeux réels. Le récital débute tout d’abord face aux japonais (98-40) qui vont prendre la marée en seconde mi-temps (65-20) grâce aux vingt points de Bill Russell et une présence diabolique dans la raquette. Face à la Thaïlande, le score sera encore plus sévère (101-29) avec une défense monstrueuse contre laquelle les pauvres thaïlandais n’ont rien pu faire. Bill Russell ne va inscrire que huit petits points mais son activité incessante en défense laisse ses coéquipiers assurer au scoring. Lors du dernier match, les philippins prendront une leçon de basket identique (121-53), tandis que sept joueurs américains finiront en double figures au scoring (21 points pour Jeangerard notamment).

La démonstration américaine ne s’arrête pas au premier tour, les USA infligeant trois nouveaux revers au bulgares (85-44), aux brésiliens (113-51) mais surtout aux soviétiques (85-55), annoncés comme leur principaux rivaux et ce malgré une première mi-temps accrochée. Sur l’ensemble des six premiers matchs, Team USA affiche une moyenne de 100,5 points inscrits contre 45,3 encaissés, soit 55 points d’écart par match. Au vue des prestations, l’explication semble toute trouvée, la répartition du scoring se faisant librement et de manière déconcertante entre Russell (14,8 points), Jeangerard (13,5 points), Tomsic (11,1 points), K.C. Jones (9,8 points), Chuck Darling (9,3 points) ou encore Haldorson (9 points).

Bill Russell, impérial dans la raquette soviétique

Même constat en demi-finale face à l’Uruguay, où Team USA va faire un récital face aux champions sud-américains (101-38). Tous les joueurs américains vont au moins inscrire un panier pour la sixième fois depuis le début du tournoi, six d’entre eux vont même atteindre la barre des dix points inscrits. Difficile du coup pour l’Union Soviétique de trouver une quelconque faille dans la mécanique américaine. Pour la finale, bis repetita, les soviétiques croisent de nouveau la route de Bill Russell et sa bande qui les avaient sévèrement puni lors du match au second tour.

Bill Russell justement fut bien inspiré de représenter les États-Unis à Melbourne car les Soviétiques s’empressèrent d’emboîter le pas aux américains, en choisissant eux-aussi de grands gaillards, à vocation offensive et défensive mais évidemment moins génial et talentueux que Bill Himself. Du coup c’est le letton Jānis Krūmiņš (2m20) qui devra s’occuper de défendre sur le pivot américain. Mais l’équipe soviétique ne fut guère à la hauteur, trop lente et apathique dans le jeu en comparaison des américains, à l’image de son golgoth, totalement dépassé par la vitesse et l’aisance technique du jeu adverse. En dépit de ses mensurations extraordinaires, le letton et son équipe furent malmenés au rebond et sur le jeu rapide mis en place par Tucker, marquant seulement 55 points, comme lors du premier volet, (dont quatre lancers seulement pour Krūmiņš).

Bill Russell, plein et d’aisance sur le plan technique et physique, rend le jeu impossible pour des russes contraints de s’écarter de la raquette pour tenter leur chance de loin, sans réussite. Les américains vont remporter cette finale (89-55) encore plus facilement que la première rencontre contre l’URSS, menant notamment à la mi-temps de près de trente points, avec un Bill Russell de gala (13 points) et un K.C. Jones à la baguette (15 points), Jeanregard ajoutant également seize points.

Un titre olympique et la naissance d’une légende

Jānis Krūmiņš serrant la main du jeune Bill Russell

Il s’agit donc de la quatrième médaille d’or consécutive des États-Unis aux Jeux Olympiques depuis l’introduction de ce sport au programme lors des Jeux de Berlin.

Les américains furent les seuls à dépasser la barre des cent points à plusieurs reprises et fut considéré comme la plus dominante de l’histoire, remportant ses huit rencontres par 53 points d’écart, étrillant au passage l’URSS à deux reprises, dans un récital offensif et défensif avec un génial Bill Russell, métronome aux rebonds et en défense. Le sélectionneur américain regrettera même que les efforts de ses joueurs furent banalisés à cause de la faible concurrence dans ce tournoi, jugeant que cette équipe aurait pu battre à peu près n’importe qui même en dehors des Jeux.

Mélangeant taille, vitesse, timing offensif et défensif ainsi que de créativité, l’équipe américaine offrit ainsi un modèle de joueur moderne de basket, polyvalent et athlétique. Le public s’empressa de venir voir jouer ce nouveau phénomène de la balle orange, claquant des dunks et des contres à tour de bras et enthousiasmant déjà les foules selon Alison Danzig du New York Times. Russell changea ainsi la face du basket international lors de ces Jeux de Melbourne, tout comme il avait changé celle du basket universitaire au début des années 50.

C’était tellement sympa de pouvoir participer à cet évènement. Être réunis, au même endroit et au même moment pour partager quelque chose d’aussi génial. Cette médaille d’or a une grande valeur à mes yeux. Parmi tous les trophées et récompenses que j’ai remportés dans ma vie, c’est probablement celle-ci la plus importante.

Bill Russell

Bill Russell qui aura inscrit 113 points dans le tournoi savourera cette victoire très brièvement, le joueur étant désormais tourné vers un retour aux États-Unis, non pas à Boston comme on pourrait le penser mais plus exactement en Californie, où son mariage avec Rose Swisher, son amour de lycée était prévu pour le 9 décembre. Âgé seulement de 22 ans, Bill Russell aura néanmoins montré en Australie toute l’étendue de son talent et de son QI basket, amenant ce sport à un tout autre niveau en particulier en défense.

Avec son coéquipier de l’Université de San Francisco puis à Boston, KC Jones, les deux futurs Hall of Famers feront partis du cercle très restreint des joueurs à avoir remporté un titre NCAA, un titre NBA et une médaille d’or olympique.

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