Encore un “Sacré samedi soir”. La semaine fut pénible, le week-end accueilli avec soulagement. C’est l’heure de célébrer. Retrouver ses potes pour une soirée cosy en appartement. Pousser l’aventure jusqu’en club ? Quoi qu’il arrive, il faut se mettre sur son 31. Plutôt petite chemise et Jean Levis 501 ? Pantalon cargo et tee-shirt blanc XXL ? Peu importe, on accorde la tenue avec sa paire de sneakers. Le néologisme sneakers vient de l’anglicisme to sneak : se faufiler, passer partout (souvent en douce). C’est une chaussure imaginée pour la pratique sportive, détournée de sa fonction première un usage quotidien. Cette semaine, Clutch Time vous emmène à la rencontre de cet accessoire lifestyle né des parquets NBA et baptisé par la rue.
La Signature
Qu’est-ce qui pousse à acheter compulsivement un paire de chaussures ? On a tous autour de soi un sneaker addict touché par le mal, la passion qui fait craquer son PEL à la fin du mois pour acheter “cette dernière paire”. Pourquoi ? Surement pas pour le sport. Une simple paire de babouche fera l’affaire pour votre séance de “Ping-Pong Confinement”. Non, on tombe amoureux d’une paire pour son identité : son visuel, mais aussi les secrets de sa fabrication, l’Histoire qu’elle raconte de sa genèse à la communauté qui l’adopte. Bien que usée par le temps et le bitume on finira par s’y accrocher pour les souvenirs de vadrouille qu’on lui prête.
Vos manufacturiers préférés l’ont bien compris. Ils déploient des trésors de marketing pour rendre une paire unique et la rattacher à une légende. Or, La NBA a de belles histoires à raconter.
Une paire signature est une chaussure pensée pour rappeler l’identité d’un joueur. C’est un privilège souvent réservé aux joueurs les plus médiatisés, les “All Stars”. Le terme consacré pour désigner les meilleurs athlètes de la saison est aussi le titre éponyme de toute première sneaker de l’Histoire : La Converse “Chuck Taylor” All Star.
La firme Converse est créée en 1907. A l’issue de la première guerre mondiale, elle décide de lancer une gamme sportive de chaussures de sport. A cette époque, la NBA n’existe pas. Le basketball était pourtant déjà populaire aux Etats-unis et Converse choisit un joueur de balle orange pour représenter le produit. Chuck Taylor ne sera jamais Hall-of-Famer mais c’est un excellent commercial et représentant :
« Les gens commandaient les « chaussures de Chuck » ou les « chaussures de Chuck Taylor » au lieu de demander des Converse All Star. Alors son nom a été ajouté juste à côté de l’étoile [le logo de Converse, NDLR]. Un coup marketing brillant »,
Source : Joe Dean, ancien vice-Président de Converse, Pierre Démoux, 2016
C’est cette personnification de l’objet associé à la volonté des fans de ressembler à leur idole qui donne une nouvelle dimension à la paire. Porter la même paire que Patrick Ewing, c’est un peu avoir du Patrick Ewing en soi.
A l’échelle du quartier, différentes écoles de style vestimentaire s’observent. Dans le milieu de “la sape”, la paire de chaussure et le premier vecteur d’affirmation identitaire. Ainsi l’Histoire d’une paire est importante pour les aficionados de la sneaker : elle rappelle sa dimension quasi-communautaire. Certaines marques sont désormais associées aux skateurs amateurs de ride, d’autres font désormais référence à des films, des phénomènes culturels, fruits de collaborations entre designers corporates et artistes. La fonction sportive de la sneaker fut détournée pour devenir un objet de la pop-culture.
Les manufacturiers ont su brillamment jouer avec ces oppositions de style qui pilotent le développement du design d’une paire. Avoir pour égérie le franchise player des Lakers ou celui des Celtics ce n’est pas viser le même coeur de cible.
Une manne financière
Les sneakers sont un phénomène de la mondialisation. Des prolétaires aux richous, elles attestent de la prédominance de la consommation ostentatoire dans nos sociétés : il faut acheter une paire non seulement parce qu’elle est magnifique, mais aussi pour montrer (ou prétendre) qu’on a les moyens de l’obtenir. La sneaker c’est une affaire d’argent. Assemblée dans les fabriques des pays en développement, la chaussure lifestyle s’écoule majoritairement sur les marchés occidentaux. Sa popularité est pourtant planétaire : de Manille à Maputo vous pourrez trouver des contrefaçons d’Air Max.
Nike et Adidas s’affrontent pour la poule aux souliers d’Or. En 2019, la Fédération Française de la Chaussure estimait à 9 milliards d’euros les revenus générés par la filière “sneakers” soit la moitié du marché français de la chaussure. La popularité du produit s’explique aussi par la ruse de ses manufacturier. En 2020, Nike a gagné 21 milliards de dollars grâce à ses chaussures. La virgule a investit 10 % de son pactole pour financer sa politique de marketing en pression tout terrain (Source : Capital.fr).
L’Apparition de marchés parallèles comme celui du resale (la revente) atteste du poids économique de la frénésie sneaker.
En première position dans la file d’attente, sous une tente, ils campent depuis la veille jusqu’à l’ouverture du magasin. Ce ne sont ni des clowns, ni des amateurs du tourisme urbain mais de véritables investisseurs qui espèrent récupérer une paire inédite en édition limitée. Puis laisser faire le temps et la spéculation. L’achat de sneakers peut se révéler être un placement financier, selon sa rareté et l’évolution de l’offre et la demande sur le marché.
Les Nike Air Mag Back to the Future BTTF (2016). Inspirée du film “Retour vers le Futur” c’est paire la plus chère du monde, en atteste sa cotation sur le Site de revente Stock X.fr. Clin-d’œil magistral au long-métrage, cette édition ultra-limitée fait ses lacets toute seule.
Selon les projections du cabinet américain Cowen and Company, ce marché souterrain de la revente sur internet, atteindra un poids de 6 milliards d’euros dans l’économie mondiale d’ici 2025.
La success-story Jordanesque
9 chaussures sur 10 achetées aux Etats-Unis appartiennent à l’écurie Nike. Cette domination sur le marché américain s’explique par leur partenariat fructueux avec Jordan Brand, filiale de la marque. Le logo jumpman occupe une place particulière dans l’imaginaire des fans de sneakers. Son ascension commerciale et identitaire s’explique par un pari fou réalisé par Nike au milieu des années 1980. Ce récit est raconté en mars 2020 par le journaliste Rémy de Souza pour Eurosport, à l’occasion des 35 ans de Jordan Brand.
Tout commence en 1984. Un athlète issu de l’université North Carolina est annoncé pour la draft. Il a remporté le championnat NCAA en tant que leader incontesté de son équipe et fait déjà parler de lui pour son jeu délié et ses dunks aériens. Michael Jordan est un diamant, une opportunité pour l’équipementier qui arrivera à en faire son égérie. La direction exécutive de Nike propose à Jordan une offre faramineuse : 500 000 dollars par an et une rétribution à hauteur de 25 % sur chaque paire vendue. MJ a toujours été un flambeur, s’affichant volontairement cigare au bec dans un casino. C’est surement son goût pour le luxe plus que son attrait pour la marque à virgule qui lui fait accepter ce contrat juteux, lui qui avait des familiarités avec Adidas et Converse.
La saison rookie de Jordan est fracassante, sa carrière légendaire. Nike adapte sa stratégie marketing autour de sa réussite.
Un joueur comme on en a jamais vu qui impose son style face à l’adversité. La promotion de la paire Jordan 1 se fait sous le signe de la subversion. L’Anecdote est désormais connue, la NBA ne valide pas les chaussons de sa majesté et lui fait payer une amende pour chaque match joué avec ses chaussures. Celles-ci ne respectent pas le code couleur imposé par la ligue : au moins 51 % de blanc/noir sur le design extérieur.
Anticonformisme et dominante, un cocktail explosif qui explique le succès immédiat de la Jordan 1, et de ses déclinaisons durant plus de deux décennies.
Jordan devient une icône planétaire qui vend ses baskets comme des petits pains. Il a construit sa fortune grâce à des chaussures qui sont devenues plus renommées que sa personne. En 2020, le magazine Forbes le déclare mille-et-unième personnalité la plus riche de la planète. Bankable à hauteur de 2,1 milliards de dollars, il n’a gagné “que” 90 millions de dollars grâce à ses contrats d’athlète aux Bulls et aux Wizards.
Le logo Jumpman dépasse le basket, il entre dans la culture populaire et efface les vieilles rivalités sportives : Jordan Brand est désormais équipementier du Paris Saint-Germain jusqu’en 2032.
L’Univers de la sneaker sécuritaire
La salle de basket est une arène. Une rencontre de gladiateurs. Les joueurs veulent optimiser leur performance et briller aux yeux du public. Pour être prêt à l’entre-deux rien de tel que l’entraînement, la préparation physique et technique. La paire de chaussures à son rôle à jouer dans ce processus. Le joueur doit la trouver familière à ses pieds car elle apporte confort, maintien et soutien. Le salaire NBA permet à l’athlète de choisir la paire de son choix au delà des considérations monétaires. Ce qui compte, c’est tout d’abord l’allégeance au sponsor si le joueur en a un. Ensuite, à lui d’adopter la technologie qui présente le meilleur rapport risque/esthétique/performance. Le risque, c’est la blessure, un drame pour l’athlète et manufacturier de la chaussure. Une entorse à la cheville est synonyme de très mauvaise publicité pour le produit.
L’insouciance des années 1960-70 où les joueurs jouaient en chaussures en toile sur les parquets a disparu. Les marques de baskets ont désormais optimisé leur paire pour assurer un maintien de la cheville. L’amorti de la semelle est primordial. Symbolisé par la “bulle d’air” chez Nike, il permet d’atténuer les chocs répétitifs au sol, lors des rebonds, contres ou dunks de l’athlète.
Plus un joueur est lourd plus ses articulations sont mises à l’épreuve. Conventionnellement, les intérieurs jouent avec une chaussure à l’armature haute qui couvre la cheville. Les meneurs de jeu effectuent sans cesse des changements de direction et privilégient des paires basses assurant plus de mobilité. Ce choix reste personnel et certains athlètes se permettent des folies, au risque de s’attirer les foudre de leur staff médical. Thabo Sefolosha arbore régulièrement ses Air Max 90, comme s’il participait à un match de Départemental 3 à la Queue-en-Brie un dimanche matin.
Panthéon de quelques paires iconiques
La converse Chuck Taylor : l’Historique
La première des sneakers est rentrée dans l’Histoire par la grande porte, devenant un phénomène interculturel. Elle fut portée par les soldats américains durant la seconde guerre mondiale, puis la paire la plus populaire en NBA durant la décennie 1960. De West Side Story au mariage de Mick Jagger,la Chuck Taylor s’invite partout et est portée successivement par Elvis, James Dean et Kurt Cobain.
La Jordan 1 : La Royale
On en a déjà assez parlé, mais comment ne pas la faire figurer ici ? Vendue 65 dollars à sa sortie en 1985, son coloris rouge et noir ainsi que son succès commercial donnera naissance à une lignée de paires, et à un pactole Jordanesque pour Nike.
La Air Force 1 : de l’Armée à la Rue
L’éternelle rivale de la Stan Smith pour l’écurie Nike. Sortie en 1982 la Air Force 1 est entrée dans la culture populaire avec une identité force. Son nom fait référence à l’avion militaire présidentiel de Ronald Reagan. Elle fut le premier modèle de la marque à adopter la technologie Air Sole : “une unité d’air caché sous le talon pour apporter un meilleur amorti”. La Air Force one se paie le luxe de décorer les pieds du Hall of Famer Moses Malone. Adoptée par les communautés des quartiers difficile de New York, Phillie et Baltimore, Nelly ou Jay-Z la démocratisent dans le milieu Hip-Hop américain.
La très stylish Puma Clyde
Impossible de passer à côté de la Puma “Clyde”. La sneaker représente le GOAT vestimentaire de l’Histoire de la NBA, monsieur Walt Frazier : “Swishing and Dishing” tous les jours avec ça aux pieds.
La Reebok Pump : séduisante et gonflée
La vague Reebok Pump coïncide avec le début de la décennie 1990. En 1989 la paire arrive avec une technologie flashy et inédite qui lui permet de concurrencer Nike sur le marché américain. “Pump up and Air out” explique Dominique Wilkins dans son clip publicitaire : côté intérieur de la chaussure, une bulle d’air en forme de ballon de basket (évidemment) est gonflée manuellement par l’utilisateur afin de verrouiller sa cheville. La Reebok Pump connaît un succès commercial grâce à ce mécanisme ludique, mais aussi grâce à son apparition au cinéma dans des films très 90’s : Juice (1992, Dickerson) ou Above the Rim (1994, Pollack).
Avec les sneakers, la NBA a réussi le grand saut. Conçues pour les parquets de la plus belle ligue du monde, les chaussures de sport de basketball ont été propulsées au rang d’outil lifestyle indispensable. Pas besoin de suivre la NBA pour porter des Jordan. Les adeptes de la chaussure, les collectionneurs sont connectés à un réseau de fans de la mode et de la culture streetwear mondialisée.