L’argent en attendant l’or – les Bleus entre deux moods au retour de Tokyo

C’est un sentiment d’inachevé teinté d’espoir qui habite la sélection française masculine de basketball 5×5 au sortir d’une finale olympique historique à la Super Arena de Saitama (Japon) ce 7 août 2021. Pour la première fois de leur histoire, les Bleus ont joué les américains les yeux dans les yeux pour une médaille d’or, avec une vraie chance de réussir. Pendant 40 minutes, ils ont rivalisé fièrement avec l’équipe favorite, composée des plus grands talents du championnat NBA dirigés par l’un des entraineurs les plus illustres, Greg Popovich. Ils étaient sur le toit du monde, à deux doigts du titre. Mais alors que les américains rataient leurs tirs, offrant la possibilité d’une toute première victoire aux basketteurs français en finale des Jeux Olympiques, l’Équipe de France n’a pas réussi à concrêtiser cette opportunité. Les joueurs de Vincent Collet repartent donc avec une médaille d’argent bien méritée, magnifique, historique, la troisième dans l’histoire des JO (1948, 2000 et donc 2021). Mais ils savent qu’ils peuvent aller plus haut encore. Explication.

©2021 FIBA

Fournier n’a pas fait son match

Un talent comme Evan Fournier ne peut se satisfaire de 5/15 aux tirs (dont 2/9 à 3 points) en finale olympique. Impérial lors du match d’ouverture face à ces mêmes américains (29 points, décisif contre la Slovénie en demi-finale (25 points, Evan Fournier a donné le meilleur et parfois le pire dans son premier tournoi olympique en première ligne (5 fautes dont une offensive au plus mauvais moment en demi-finale). Peut-être le plus américain des français (il repart à New York pour 4 saisons et un rôle important dans une équipe qui monte, avec un contrat de $78 millions), c’est un atout majeur qui n’a pas encore révélé aux JO toute l’étendue de son potentiel. Il sera très attendu aussi bien dans le championnat nord-américain que lors des prochaines compétitions internationales, où il aura à cœur de confirmer. Watch out. Préparez le pop corn.

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Gobert dominant… au début

Le monde a vu Rudy Gobert dunker sur la tête de Kevin Durant lors du premier quart-temps contre Team USA. Un choix conscient de Greg Popovich, le coach américain n’a pas voulu opposer un pivot bien costaud, Javale McGee, au géant français (McGee, 2,13m et 2,29m d’envergure, auteur de 4 points à 2/2, un contre et un rebond en à peine 2 minutes contre l’Australie en demi-finale, n’est pas entré en jeu pendant ce match). Si le meilleur joueur du monde en a pris pour son grade en défense, il a en revanche apporté 30 points de l’autre côté du terrain, remportant facilement son duel avec le pivot français (29-16). Sans réelle présence de taille dans la raquette, c’est en mettant la pression sur les meneurs de jeu tricolores que Team USA a réussi à gêner les tentatives du pivot all-star en deuxième mi-temps, rendant les actions moins faciles qu’en première mi-temps, et préférant voir le géant tirer des lancers-francs plutôt que d’écraser le ballon dans le cercle. Une tactique payante, puisque le pivot français n’a réussi que 6 lancers-francs sur 13 (une soirée difficile pour les deux équipes dans ce secteur, 18/29 soit 62,1% côté français et 14/21 soit 66,7% côté américain). Au final, si Gobert a bien marqué 16 points, il n’aura tenté que 5 tirs dans cette finale (tous réussis), trois en premier quart-temps, aucun en quatrième quart-temps. Comment a-t-on pu se laisser priver d’une telle arme offensive ? Une énigme.

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Les détails qui tuent au plus haut niveau

Le camp français avait prévenu, peu importe l’adversaire, si on joue notre jeu, on peut battre n’importe qui. Mais en finale, les Bleus n’ont pas réussi à maintenir leur niveau de jeu des tours précédents. Et c’est sur des détails qu’ils ont perdu leur titre olympique.

En effet, en commettant des fautes offensives légères mais caractérisées (le coude en avant sur des drives de Nando de Colo puis de Timothé Luwawu-Cabarrot) pas nécessaires, alors même qu’ils étaient en position de marquer ou au moins de provoquer une faute, les Bleus ont gâché de précieuses cartouches. Et en laissant filer le ballon, au lieu de soigner chaque possession, ils se sont tout simplement auto-détruits. Si les français ont enregistré 18 pertes de balle, les américains ne sont crédités que de 9 interceptions… cherchez l’erreur !

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18 balles perdues par les français en finale olympique
(9 seulement pour Team USA)

Lorsque les américains ont mis la pression défensive dans le money time, ils ont réussi à pousser le porteur de ballon à la faute (Ntilikina sur une passe en retrait hasardeuse en tête de raquette directement dans les mains de Damian Lillard puis Nando de Colo sur une passe en course pour Rudy Gobert, qui ne lui a pas permis d’attaquer Kevin Durant avec autant d’aplomb qu’en premier quart-temps). Des erreurs pas directement provoquées par la défense, de la précipitation, comme si le ballon brulait les mains. Trop d’occasions ratées, trop de cadeaux à un adversaire qui n’en demandait pas tant, qui montrent une marge de progression significative.

Tout près, mais encore trop loin

Au bout du compte, il est évident que l’Équipe de France n’a pas joué du tout à son meilleur niveau dans cette finale olympique – l’équipe américaine non plus, ceci dit, ratant beaucoup de tirs dès l’entame du match et n’étant jamais en position de tuer le match. Alors que la défense française était bien au rendez-vous tout le long du match, avec une présence active et solide et peu de fautes contre les meilleurs athlètes de la planète, c’est en attaque que la sélection française a manqué de précision. Malgré les fautes offensives déjà évoquées, l’Équipe de France n’a commis que 19 fautes au total dans un match très défensif (22 fautes américaines) au contact de joueurs agressifs. C’est dire la qualité de la défense française, parvenue à gêner considérablement la meilleure attaque du monde (45,7% de réussite dont 28,1% à 3 points VS 51,4% contre l’Australie en demi-finale) en restant en bas – aucun contre ! Un véritable casse-tête pour Team USA, qui a longtemps déjoué dans cette finale. Résultat, une équipe capable de marquer 120 points en 40 minutes de basket FIBA (120-66 contre l’Iran) tenue à moins de 90 points !

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Une nette progression

Chahutés par l’Espagne puis le Japon en préparation, privés d’un match test important contre l’Italie (annulé comme de nombreux matches de préparation du fait des mesures sanitaires), intégrant des joueurs au compte-goutte de retour de blessure (Thomas Heurtel) et à l’issue de leur participation aux playoffs NBA (Rudy Gobert à Malaga puis Nicolas Batum à Paris Bercy), les Bleus ont réussi à trouver une cohésion étonnante et réalisé une entrée en lice spectaculaire contre Team USA pour leur première rencontre en poule (83-76). Ils ont fini cette phase initiale avec deux victoires sans appel contre la République Tchèque (97-77) puis l’Iran (79-62). Et ils se sont imposés non sans difficulté contre une Italie déconcertante en quart de finale (84-75), avant de se faire peur contre la Slovénie en demi-finale (90-89). À aucun moment, cette Équipe de France n’a cédé sous la pression, déroulant un basket solide, salué par Greg Popovich comme étant juste (the right way). Une équipe qui tire le meilleur aussi bien de ses atouts « américains » que des basketteurs évoluant dans les championnats européens et français (LNB), puisque portée aussi bien par Nando de Colo (l’un des meilleurs joueurs d’Euroleague évoluant à Fenerbahçe, Turquie) au poste de meneur que Moustapha Fall (meilleur défenseur de Jeep Elite Pro A avec l’ASVEL, Champion de France) au pivot, en parfaite harmonie avec les « concurrents » NBA à leur poste comme Frank Ntilikina (meneur remplaçant des New York Knicks) et Rudy Gobert (pivot titulaire all-star des Utah Jazz).

Nando de Colo, plus de 2000 points en Équipe de France (184 sélections), plus de 3000 points en Euroleague (pallier atteint en 186 rencontres, le plus rapide de l’Histoire de cette compétition).

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Objectif or à Paris

Comme l’a rappelé Evan Fournier à la sortie du match, l’objectif est bien de « taper » ces américains lors de la prochaine finale olympique, en 2024 à Paris, sur notre terrain. Mais l’ailier français de New York (passé par Denver, Orlando et Boston) a indiqué la feuille de route, avec des étapes clés pour réussir une progression: Euro, Coupe du Monde puis JO. Pour être capable de se présenter de nouveau en finale olympique dans 3 ans, pour avoir ce niveau, il va falloir monter encore d’un cran et confirmer le statut d’élite du basket français lors des compétitions qui arrivent, où il ne sera fait aucun cadeau. La Slovénie, battue d’un point en demi-finale, sera là, parmi tant d’autres. Pour aller chercher l’or olympique à Paris en 2024, il va falloir travailler dur. Cette belle médaille d’argent, comme l’a dit Nicolas Batum, ce n’est pas une fin, c’est le début d’une grande aventure.

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