Par Benjamin Gisse (@MagicBenJohnson)
Nous sommes en 2020 après Jésus-Christ. Toute la NBA est occupée par les intérieurs qui stretchent… Toute ? Non ! Un joueur doté d’un don unique au poste bas résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de joueurs NBA des franchises retranchées de Troipointum, Stretchum, Houstonum et Brouquelopaizum… Son nom ? Joel Embiid.
Philadelphie : terre du poste bas
Après avoir abordé le cas de Damian Lillard et du pick & roll dans notre premier article spécial « super-joueurs », penchons-nous sur un autre cas étrange évoluant dans cette NBA pleine de surprises…
Triple All-Star, et possédant 2 présences dans une All-NBA Team en seulement 4 années « complètes » au sein de la ligue, Joel Embiid est là où on l’attend : dans la catégorie des piliers de la NBA.
Alors que son équipe, les Philadelphie 76ers, est, avant que la NBA reprenne, 6ème dans la conférence Est, Joel ne cesse d’évoluer et d’atteindre les sommets dans le jeu au poste bas 1 .
Depuis quelques années déjà, Joel fait parler de lui dans ce domaine. Workouts avec Hakeem Olajuwon, volonté de jouer au poste bas, prise de poids conséquente… Tous les ingrédients sont réunis pour fabriquer un cocktail détonant.
On peut même parler d’un joueur à contre-courant, dans un angle parallèle qui le maintient au poste bas contrairement à la plupart des autres joueurs intérieurs qui veulent de plus en plus s’écarter du cercle.
Est-ce tout simplement une volonté d’être efficace ?
On sait grâce aux statistiques, et grâce aux points par possession (PPP) 2 , que les 3 points rapportent plus par possessions que les 2 points « longs ». Dans le cas de Joel Embiid, les tirs au poste bas rapportent seulement 0,90 PPP… Soit un tout petit plus que les 2 points « longs » (0,85 PPP) et bien moins que les 3 points (1,15 PPP) !
Mais alors, pourquoi tenter des tirs au poste bas ?
Peut-être s’agit-il d’une simple exploitation de ses forces et faiblesses, avec un petit mais correct 32,2% à 3 points accompagné d’un bon 52,3% à 2 points en carrière ? Ou alors une simple volonté de dominer là où il a peu de concurrence ?
Nous tenterons de répondre à cette question tout au long de l’article… Mais avant de voir en profondeur l’impact de Joel Embiid dans ce domaine, parlons de son équipe. Que valent les 76ers au poste bas ?
On s’en doute, avec un joueur impactant comme Embiid à l’intérieur, Philadelphie a toutes les armes pour dominer la ligue dans cet aspect.
Résultat : les 76ers ont le plus grand nombre de possessions par match au poste bas.
Graphique représentant le nombre de possessions par match au poste bas pour chaque équipe
12,6 possessions par match ! C’est 12,7% de leurs possessions totales sur un match, soit plus que quiconque dans la ligue.
C’est également près de 4 possessions de plus que le second au classement, les Los Angeles Lakers.
Ce chiffre a complètement explosé depuis les premiers matchs d’Embiid au Wells Fargo Center. Eux qui étaient, durant le « Process », habitués aux bas-fonds dans ce domaine, ont trouvé un second souffle avec l’arrivée du pivot en provenance des Jayhawks de Kansas.
Graphique représentant le nombre de possessions par match au poste bas pour chaque équipe depuis la saison 2015/16
Mais il ne suffit pas d’avoir un grand nombre de possessions pour s’imposer comme les patrons de la NBA. Il faut être efficace et scorer. C’est ici que les 76ers créent un gap avec le reste des franchises. Avec 1 point par possession de moyenne, ils se logent à la 2ème position de la ligue, avec seulement Atlanta devant eux.
Le calcul est vite fait. 1 PPP pour 12,6 possessions, cela fait 12,6 points par match au poste bas, soit 11,5% de leurs points totaux. Plus que toute la ligue, encore une fois.
Graphique représentant les points par possession au poste bas pour chaque équipe
Joel Embiid a su impacter son équipe et la propulser aux sommets de la NBA dans un domaine en perdition.
Mais en est-il le seul architecte ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Que vaut Joel Embiid au poste bas ?
Que vaut Joel Embiid au poste bas ?
Nous l’avons abordé un peu plus tôt : Joel Embiid a un talent monstrueux au poste bas. Mais comment cela se répercute sur ses statistiques ?
Il n’a pas toujours été à ce niveau-là. Ses premières années ont même été compliquées dans ce domaine.
Nous avons vu que l’arrivée de Joel a engendré une augmentation du nombre de possessions chez les 76ers un peu plus tôt dans l’article, mais ce dernier n’a pas toujours été efficace.
Graphique représentant l’évolution des percentiles de Joel Embiid et des Philadelphie 76ers depuis les débuts d’Embiid en NBA
Preuve irréfutable de l’impact d’Embiid sur son équipe, les courbes concernant le percentile 3 au poste bas sont quasiment similaires dans le temps. Le joueur progresse d’années en années et fait progresser son équipe dans la même direction.
Quelle est la limite sur cet aspect ? Pourront-ils aller chercher plus haut ? Étant pour la première fois dans les 10% les plus efficaces de la ligue, quelle pourrait être la suite pour eux ?
Lui qui possède déjà le plus grand pourcentage de points procurés par le poste bas, pourra-t-il creuser encore plus l’écart ?
Graphique représentant le pourcentage de points procurés par le poste bas lors de la saison 2019/20
Il domine tellement que l’écart semble difficile à combler pour le reste de la ligue.
Ses statistiques, quand on les compare aux autres joueurs, sont tout simplement affolantes. Il est seul, tout en haut.
C’est un véritable patron.
Graphiques représentant les PPP et le percentile de tous les joueurs NBA en fonction de leurs nombres de possessions par match
On le remarque bien, tout cela est assez représentatif, mais comparons quand même avec l’une des plus grandes menaces au poste bas de la NBA : Nikola Jokic.
Tableau comparatif de statistiques au poste bas entre Joel Embiid et Nikola Jokic sur l’exercice 2019/20
Dans les statistiques majeures au poste bas, on remarque directement la domination d’Embiid. Il surpasse Jokic dans toutes les statistiques, mis à part le pourcentage aux tirs, où il possède tout de même un excellent 52,4%.
Et tout cela en ayant joué 21 matchs de moins que la star des Denver Nuggets. C’est vraiment impressionnant.
Tous ces points montrent une fois de plus un talent incroyable, et une utilisation massive de ce super-pouvoir depuis quelques années, augmentant rapidement le taux de possessions au poste bas dans son équipe. Mais à quel prix ? Doit-il monopoliser le jeu au poste bas et ne pas en laisser aux autres ? Serait-ce un bonus pour Philadelphie, surtout quand on voit sa production ?
Analysons cet aspect à travers un graphique.
Graphique représentant le pourcentage des possessions d’Embiid (sur les possessions totales de 76ers) et les points par possession des 76ers depuis l’arrivée d’Embiid
Depuis l’arrivée d’Embiid en NBA, on peut remarquer que les 76ers n’ont fait que progresser dans ce domaine. Cependant, cette augmentation du nombre de points par possessions peut être liée à un autre fait : les 76ers jouent plus au poste bas de manière générale.
Comment le sait-on ? Dans un système qui lui a accordé de plus en plus de possessions au poste bas, le pourcentage qu’il obtient dans les possessions totales de l’équipe est en baisse. Une contradiction des plus totales.
A terme, cela pourrait devenir terriblement létal. Encore faudrait-il que Philadelphie possède d’autres joueurs talentueux au poste… Après avoir connu Boban Marjanovic (2,1 possessions, percentile de 74), ils sont désormais parents d’Al Horford (2,9 possessions, percentile de 42) sans compter la présence de Ben Simmons et ses 2,3 possessions et son percentile de 28,3 en carrière…
Joel est talentueux c’est sûr. Le groupe progresse à ses côtés, mais cela ne suffit pas encore. Ce n’est pas encore suffisamment rentable. Peut-être faudra-t-il des éléments plus performants à ses côtés ? Peut-être une réduction du nombre de possessions ?
Beaucoup de questions et d’incertitudes, mais abordons tout de suite la dernière partie de cet article : comment arrive-t-il à être autant dominant ?
Comment Joel Embiid domine-t-il au poste bas ?
Dans cette dernière partie, nous allons analyser deux séquences au poste bas jouées par Joel Embiid, afin de découvrir comment arrive-t-il à afficher des statistiques aussi impressionnantes.
Ces séquences ont été prises lors de la saison 2019/20, afin d’avoir une expertise plus précise du phénomène.
Pour la 1ère action, prenons la direction du Wells Fargo Center, lors du match des 76ers contre les Minnesota Timberwolves le 30 octobre dernier. Philadelphie, alors sur un bilan de 4 victoires pour 0 défaites, mène 34 à 24 durant le 2ème quart-temps.
Les Timberwolves viennent de perdre le ballon sur une faute offensive de Noah Vonleh. L’attaque est longue, vient un tir, puis un rebond offensif. Le ballon circule et arrive dans les mains de Mike Scott (n°1). Robert Covington défend sur lui à une bonne distance, ne pouvant le laisser tirer à 3 points facilement (Mike est à 45% à 3 points dans cette zone en 51 tirs cette saison) et driver facilement.
Il reste 8 secondes sur l’horloge des 24 quand Joel Embiid (n°21) vient se présenter au poste bas du côté du ballon, proposant une solution de passe. Noah Vonleh, qui défend sur lui, subit le duel physique engagé, laissant l’avantage au pivot des 76ers.
Mike Scott, voyant Embiid démarqué, n’hésite pas une seule seconde et lui donne le ballon. Vonleh ne veut même pas contester l’arrivée du ballon, alors que Joel Embiid produit une petite erreur. En effet, il rompt le contact avec son vis-à-vis alors que le ballon n’est pas encore dans ses mains. De plus, il n’a pas du tout les yeux fixés sur Vonleh, qui aurait pu saisir l’occasion afin d’intercepter le ballon.
Le reste des joueurs est plutôt bien placé. On imagine tout de même que Tobias Harris (n°12) ne va pas tarder à gêner le futur porteur de balle, étant donné son placement. Il faudra donc qu’il se déplace, dans le corner gauche par exemple.
Une fois qu’il a réceptionné le ballon, Embiid se replace directement face au cercle, afin de montrer aux 5 défenseurs qu’il va être dangereux et possiblement attaquer le cercle. Il attire directement le regard des différents Timberwolves sur le terrain, délaissant alors leurs vis-à-vis. Ces derniers pourront devenir de potentielles menaces à 3 points lors d’un potentiel tir à la dernière seconde de l’horloge.
Joel Embiid, un peu penché vers l’avant et fléchi, protège bien son ballon en l’éloignant le plus possible de Vonleh. L’écart entre ses deux pieds est très long, provoquant indirectement un avantage lors d’un éventuel départ en dribble .
A l’opposé, Furkan Korkmaz (n°30) tend à se déplacer aux alentours du corner gauche, pendant que son défenseur ne le regarde plus. Tobias Harris, lui, ne s’est toujours pas déplacé et reste un potentiel obstacle au bon déroulement de l’action.
Ça y est. Joel Embiid décide de franchir le pas et de déstabiliser son adversaire. Le ballon revient face à lui, et il exécute une feinte de corps en direction de l’axe. Le footwork est parfait, il est très bien équilibré. Vonleh reste les pieds ancrés au sol et aura un temps de retard pour la suite de l’action. En une demi-seconde, le pivot des 76ers vient de passer de potentielle menace à danger immédiat.
C’est le fait qui fait basculer l’action. Vonleh a perdu le duel.
Alors que Mike Scott est quasiment sorti du champ de la caméra de retransmission, les autres joueurs restent immobiles, avec les deux extérieurs toujours prêts à recevoir le ballon à 3 points, et Tobias… qui décide de ne pas bouger.
Avec l’avantage qu’il a su prendre, Embiid a réussi à dépasser son vis-à-vis avec son épaule, symbole d’un 1 contre 1 réussi. Cependant, il s’emmêle les pinceaux et manque de perdre le ballon lors de son 1er dribble. Vonleh en profite pour tenter de rattraper le retard accumulé depuis la feinte de corps.
Josh Okogie, défenseur sur Tobias Harris, ne doit pas sentir le danger arriver, et décide de ne pas venir aider son coéquipier.
Tandis que Embiid tente de se rattraper après un dribble peu convaincant, Josh Okogie décide enfin de venir en aide défensive… sous le cercle. Petit rappel : il y a 20 cm et 17 kilogrammes d’écart entre les deux joueurs. L’aide est trop tardive et son utilité est nulle. Vonleh tente de pousser (sans faire faute) Embiid le plus loin du cercle pour qu’il n’ait aucune solution de tir.
Mais le mal est fait, Embiid résiste et va pouvoir s’offrir une chance de scorer.
Tobias, qui semble attiré par le ballon, se rapproche de l’action, formant un amas de 4 joueurs dans un petit espace.
Malgré tous ces obstacles et cet amas, Embiid réussit à écarter les deux défenseurs, à placer Vonleh dans son dos, et ainsi, à se retrouver dans une bonne position pour tirer.
Résultat : 2 points produits, un run de 6-0 entamé, et une démonstration de la puissance d’Embiid.
Voyons maintenant la 2ème et dernière situation. Nous sommes toujours au Wells Fargo Center, le 24 février dernier, pour la confrontation entre les 76ers et les Atlanta Hawks. C’est durant ce match que Joel Embiid enregistra son record de points sur la saison avec 49 unités dont 22 dans le dernier quart-temps.
Et c’est justement au début de ce quart-temps que ce déroule l’action.
Le début de la séquence se déroule de la même manière que la 1ère séquence. L’attaque est longue, vient alors un tir, puis un rebond offensif et Joel Embiid, en fin de possession se retrouve isolé un peu au large, ballon en main. Dewayne Dedmon défend sur lui. Ils sont un peu décalés par rapport au poste bas, après que Dedmon l’ait repoussé.
L’isolation est bien réalisée, avec ses 4 coéquipiers répartis autour de la ligne à 3 points.
On peut directement voir certaines similitudes dans la posture d’Embiid : ballon excentré pour l’éloigner du défenseur, largeur des appuis supérieure à celle de son vis-à-vis, corps totalement orienté vers le cercle pour montrer la menace….
La prise de décisions est rapide, l’orientation est claire et laisse Dedmon sur place. Encore une fois, Embiid nous montre qu’il possède l’un des meillleurs footworks de la ligue. Son équilibre est parfait lors de cette prise de décision.
Le moment décisif une fois de plus. Dedmon ne le sait pas encore, mais il sera en retard.
A l’opposé, le regard de Jeff Teague (n°00) va être intéressant à suivre. C’est le joueur prioritaire pour l’aide défensive, mais à l’instar de Josh Okogie tout à l’heure, le rapport de force est trop grand pour lutter.
Cette fois-ci, pas de problèmes lors du 1er dribble, et Embiid réussit tranquillement à passer son épaule et son bras au-delà de son vis-à-vis. Le 1 contre 1 est une fois de plus parfaitement maîtrisé, et Dedmon ne peut que subir.
Jeff Teague, quant à lui, semble hésiter à venir en aide défensive. Il n’a pas encore passé l’axe panier-panier alors que le pivot des 76ers est bientôt au cercle… Situation bien compliquée pour les Hawks…
Ça y est, Joel Embiid a complétement fait exploser la défense de Dedmon. Il l’a totalement pris de vitesse, n’ayant plus aucun obstacle vers le cercle. Il reste 6 secondes sur l’horloge des 24.
Jeff Teague, finalement n’est pas venu, mais il est également responsable de la rotation défensive qu’est en train de produire Cam Reddish (n°22 des Hawks) sur Shake Milton (n°18).
Cette rotation laisse le champ totalement ouvert à l’intelligent Al Horford (n°42) qui réalise la coupe parfaite, pouvant amener deux points.
L’autre moment décisif dans cette action. Doté d’un QI basket très élevé près du basket, Joel Embiid sent la menace du contre. Il décide alors d’exécuter une feinte de tir, dans le but de faire sauter Dedmon. La feinte fonctionne, Dedmon se retrouve vite en l’air et Embiid n’a plus d’obstacles vers le cercle.
Le retour de De’Andre Hunter ne changera pas le cours de l’action. Joel Embiid vient une fois encore de démonter sa superiorité face à des Hawks déboussolés. Et comme si cela ne suffisait pas, il se permet même de dunker sur Hunter.
Ainsi s’achève notre deuxième article sur les super-humains de la ligue, avec la présence de Joel Embiid, l’un des derniers combattants, vaillant et courageux seigneur du poste bas. C’est avec une très grande maîtrise des fondamentaux et de ses forces qu’il règne sur la NBA. Reste à savoir maintenant si le groupe qu’il dirige saura l’accompagner et être digne de ce domaine en perdition…
Sources : NBA.com, NBC Sports Philadelphia.
Le dossier complet à lire : Les super-joueurs en NBALexique :
- Le poste bas : emplacement sur le terrain situé aux abords de la raquette, proche du cercle.
- Les points par possession (ou PPP) : statistique prenant en compte le nombre total de points marqués sur le nombre total de possessions.
- Le percentile : calcul effectué sur l’ensemble des joueurs de la NBA en fonction des points par possession. Plus le PPP est haut, plus le percentile sera élevé. Si un joueur possède un percentile de 100, cela signifie que personne dans la NBA n’a un PPP aussi grand que lui. Et inversement pour un percentile de 0… Mais c’est moins glorieux…
Bien écrit ,le style est très clair ce document pourrait être utile aux coachs
Bravo et bonne continuation