Damian Lillard ou l’art d’exceller dans le pick & roll

@romain_sk_97

Par Benjamin Gisse (@MagicBenJohnson)


Depuis la nuit des temps, il existe des domaines qui sont dominés par des personnes au talent immense. Le basket ne déroge pas à la règle.
Clutch Time vous propose à travers un dossier spécial de revenir sur l’impact de certains maestros dans des domaines du jeu.
Pour ce 1er numéro, prenons la direction de l’Oregon pour rencontrer Damian Lillard et son meilleur ami : le pick and roll.


Damian Lillard : roi de Portland

Qui ne connaît pas Damian Lillard ? Franchise player des Portland Trail Blazers, quintuple All-Star, détenteur de 4 sélections All-NBA, « Dame » a tout d’un patron sur le terrain.

Scoreur redoutable, il a établi cette saison sa plus grande moyenne de points par match (28,9), menant son équipe à un bilan de 29 victoires pour 37 défaites à l’heure où la NBA n’a pas encore repris l’exercice 2019-20.

Âgé, pour quelques jours encore, de 29 ans, Damian a su faire évoluer son jeu au sein d’une équipe qui lui fait totalement confiance et qui se bâtit autour de lui.
Son apport offensif se base principalement sur le pick & roll 1 (P&R) comme vous pouvez le deviner, mais nous reviendrons sur lui dans un second temps.

Parlons tout d’abord de son équipe. Portland. C’est tout simplement l’une des équipes qui a joué le plus de P&R sur la saison 2019-20, avec une moyenne de 27,1 possessions par match où le porteur de balle tire après l’écran, soit 26,79% de leurs possessions offensives. Seul Utah fait mieux dans la NBA.


Graphique représentant le pourcentage de tirs pris par le porteur de balle après P&R chez les équipes NBA


Mieux encore, en plus d’en tenter énormément, les Trail Blazers sont tout simplement l’une des équipes les plus efficaces sur P&R cette saison.
Ils scorent en moyenne 26,5 points/match, les plaçant 1ers de la ligue dans ce domaine, et obtiennent la 2ème meilleure moyenne de points par possession de la NBA avec 0,98 PPP 2.


Tableaux récapitulatifs des points/match et PPP sur P&R sur toute la NBA


Une efficacité à couper le souffle, modelée grâce à un front office qui a su déceler un potentiel sur ce type de jeu. Cependant, une question peut se poser : Est-ce Lillard qui rend cette équipe si spéciale sur P&R ou l’équipe qui rend Lillard spécial dans ce domaine ?

En allant récupérer Jusuf Nurkic à Denver en 2017, puis Hassan Whiteside à Miami en 2019, Portland a su installer une certaine continuité dans leur efficacité sur P&R, prenant deux pivots à l’aise avec ce type de jeu.
On peut bien évidemment souligner ce point grâce aux screen assists 3 , où les joueurs de Portland évoluent dans le top 10 depuis la création de la statistique.


Tableau récapitulatif des meilleurs joueurs de Portland en screen assists depuis la saison 2016-17


Avec un Jusuf Nurkic blessé (jambe) pour la totalité de l’exercice 2019-20, on aurait pu croire le secteur en danger, mais les dirigeants de Portland se sont penchés sur un autre joueur parfaitement complémentaire : Hassan Whiteside.
Ce dernier a parfaitement compris son rôle au sein de l’effectif, se refaisant même une beauté avant une free agency 2020 importante pour lui.

Mais concrètement, Lillard dans ce système, ça vaut quoi ? Comme dit précédemment, une question persiste : est-ce que c’est lui qui fait rayonner ses coéquipiers, notamment en les plaçant constamment dans le top 10 des screen assists, ou ses coéquipiers, forts en screen assists qui lui facilitent la tâche ?

Que vaut Damian Lillard sur pick & roll ?

Avec 13,5 possessions par match dans ce domaine, soit un peu plus de la moitié de ses possessions, Damian est un pilier dans la NBA. Seul Trae Young fait mieux, avec un total de 15,7 possessions par match.

Mais là où il fait la différence, c’est sur son efficacité, à l’image de son équipe.
Il devient de plus en plus fort chaque année sur P&R, s’améliorant dans la plupart des statistiques liées à l’efficacité, tellement que ça en deviendrait angoissant pour les défenseurs sur la suite de sa carrière.

Il shoote plus, mieux, il marque plus, ses pourcentages aux tirs grimpent, son efficacité s’affole.

Damian Lillard n’est pas loin d’être invincible sur pick & roll. Vraiment pas loin.


Tableau récapitulatif des statistiques de Damian Lillard sur P&R depuis la saison 2015-16


Un percentile 4 de 95,9, c’est tout simplement incroyable pour un joueur ayant autant de possessions. Le percentile étant calculé directement en fonction des points par possession, prenons le temps de comparer le sien avec celui de Trae Young, seul joueur ayant plus de possessions sur P&R que lui. Malgré des stats tout à fait solides (0,98 PPP, percentile de 83,9), Trae est très très loin des chiffres produits par Damian (1,14 PPP, percentile de 95,9).

Pour vous montrer à quel point c’est monstrueux, si on trie tous les joueurs NBA par leurs nombres de possessions par match sur P&R, le premier joueur ayant un nombre de points par possession supérieur à celui de Lillard est l’ex-Knick Allonzo Trier, avec seulement 1,8 tentatives par match !

S’il continue sur ce rythme, on pourrait même imaginer un jour le voir devenir le joueur affichant le meilleur percentile possible (100) tout en ayant le plus grand nombre de possessions.
Impossible n’est pas Lillard !


Graphique représentant le nombre de points/match en fonction du nombre de possessions/match pour tous les joueurs NBA


De plus, il existe un aspect non-négligeable dans cette évolution massive : son pourcentage de tirs marqués à partir d’une passe décisive diminue. La traduction ? « Dame » aime beaucoup avoir le ballon lors de la création de ses tirs.

Résultat : lors de cette saison 2019-20, seuls 17,1% de ses tirs (246 de ses 1677 points) ont été produits via une passe décisive.


Graphique représentant le pourcentage de tirs réussis (sans provenir de passes décisives) par an


Une statistique qui prouve un peu plus que Lillard veut et peut se débrouiller seul, ce qui peut-être un argument sur notre question initiale : il rend les autres, et notamment les pivots avec leurs screens assists, meilleurs en étant de plus en plus létal dans un jeu de plus en plus personnel.

Mais comment arrive-t-il à atteindre ce niveau d’efficacité ?

Découvrons ça dans notre dernière partie.

Damian Lillard en action, ça donne quoi ?

Pour cette partie, nous allons décrypter et analyser étape par étape une action de Damian Lillard, afin de comprendre pourquoi il est aussi fort dans ce domaine.

Cette action a été réalisée lors de la victoire 127 à 119 face aux Los Angeles Lakers le 31 janvier dernier.

Nous sommes au 3ème quart-temps. Celui où « Dame » mettra 22 de ses 48 points finaux. Portland vient d’encaisser un 3 points et accuse 3 points de retard. Lillard monte la balle.



On assiste à une mise en place basique d’une transition. CJ McCollum (n°3) se retrouve rapidement placé dans le corner gauche pour ne pas encombrer le trafic.

Hassan Whiteside (n°21), ne regarde absolument pas le cercle, que ça soit avec ses yeux ou son corps. Il est directement prêt à poser un écran sur Avery Bradley, défenseur de Damian Lillard (n°0).

Ce dernier est en train de dribbler en direction de Whiteside, voyant l’occasion de mener la transition avec un pick & roll. Il a les yeux rivés sur le placement du poseur d’écran, et veille à ce que le poseur d’écran soit prêt pour que l’action soit la plus efficace possible.

Les deux derniers joueurs, Mario Hezonja (n°44) et Trevor Ariza (n°8) sont dans un premier temps très proche du porteur de balle, contrairement à McCollum par exemple.
Cependant, on peut imaginer que les deux vont s’écarter le plus possible afin de laisser le champ libre aux deux acteurs principaux.

La défense est plutôt bien placée, hormis LeBron James, un peu en retard et dont Ariza peut prendre avantage rapidement en coupant vers le cercle. Danny Green est bien placé en aide, surveillant CJ McCollum (60% de réussite à 3 points dans le corner gauche). JaVale McGee, défenseur de Whiteside, contrôle la raquette, et décide d’adopter une défense en protection 5 sur le futur pick & roll.



Deuxième étape. Lillard, parfaitement équilibré et fléchi, prend l’écran de Whiteside. L’écran n’est pas super bien posé, mais Whiteside prend de la place avec son corps, ce qui permet à « Dame » de bien prendre l’écran, causant à Bradley un potentiel retard.

Mario Hezonja, sentant que le meneur se rapproche de lui, vient se placer dans le corner droit.

Défensivement, McGee commence à sentir le danger et entreprend sa course vers Lillard. Tous les joueurs des Lakers regardent exclusivement le ballon, ce qui peut devenir une situation très dangereuse, notamment sur les coupes dans le dos. Pour illustrer ce propos, si McCollum décide de couper dans le dos de Danny Green, ce dernier ne pourra rien voir sauf le lay-up encaissé sur une passe décisive de Lillard.



Sur cette image représentant le même instant, on visualise bien Lillard avoir l’avantage sur Bradley, totalement pris dans l’écran. Le meneur de Portland a les yeux rivés sur l’énorme espace que lui laisse l’écran, il sait qu’il a l’avantage.

Conscient du danger, c’est Anthony Davis qui indique à McGee de venir monter sur Lillard (signe du bras droit et tête orientée vers McGee).



Troisième étape. Avery Bradley est déséquilibré par l’écran de Whiteside, pendant que JaVale McGee continue encore sa course vers Damian Lillard. On sent bien que McGee est en retard, ses appuis se rétrécissent, mais sa posture laisse totalement à désirer.

Lillard dispose donc d’un temps d’avance sur les deux défenseurs cités, et devra s’en servir pour prendre le bon choix. Pour l’instant, il n’est pas encore agressif vers le cercle, ce qui peut nous laisser croire qu’il va potentiellement prendre un shoot à 3 points en sortie d’écran.

A l’opposé, Danny Green ne regarde toujours pas McCollum tandis que LeBron… fait du LeBron…



Quatrième étape. La montée trop tardive de McGee au large a totalement laissé le champ libre dans l’axe. Malgré le retour de Bradley sur lui, Damian Lillard change totalement de posture et devient très agressif vers le cercle. McGee, surpris, se fait passer facilement. Bradley arrive à rester au contact et tente même d’intercepter le ballon sur son dribble.

On sent déjà que l’aide défensive des Lakers à l’opposé (Danny Green, LeBron James) ne va pas être très forte. Ils sont présents mais absolument pas prêts à défendre.

Whiteside n’a pas besoin de rouler 6 après son écran, sinon il gênerait Damian Lillard dans sa tentative de drive.



Cinquième et dernière étape. Lillard, en un changement de direction et de vitesse, a réussi à mettre 2 défenseurs dans son dos. McGee tente de revenir, Davis tente de faire un travail qui n’est pas le sien et Bradley est trop loin pour tenter quelque chose. « Dame » est en appel deux pieds pour tenter un dunk pendant que Danny Green surgit, trop tard et trop près du cercle, en aide.

LeBron… marche encore.

On remarque bien évidemment que CJ McCollum est complètement seul dans le corner gauche. Lillard aurait pu lui donner le ballon, mais il a préféré aller au dunk.

Résultat : dunk sur Danny Green et JaVale McGee, à la limite du « and one ». Démonstration simple et précise de ce que peut donner Damian Lillard sur P&R.
Il s’est facilité la tâche grâce à l’écran de Whiteside, ce qui a créé un mismatch entre lui McGee. Deux dribbles plus tard, il se retrouve au panier. Un maestro.

Action en vidéo

C’est ainsi que s’achève notre premier article sur les super-humains de la ligue dans certains domaines, avec Damian Lillard et son super-pouvoir de domination de la ligue en termes de pick & roll.
Pour répondre à la question de départ, Damian et les pivots poseurs d’écran, c’est une histoire d’amour. Il sait parfaitement utiliser les écrans et sait les rendre bons même quand ils sont mal posés. Les deux partis s’influencent l’un l’autre, pour notre plus grand bonheur.

Sources : NBA.com, ESPN.

Lexique :

  1. Le pick and roll (ou P&R) : système offensif avec un porteur de balle et un poseur d’écran (généralement le pivot). Une fois l’écran posé, causant du retard pour les défenseurs, le poseur d’écran va couper vers le cercle, laissant deux possibilités au porteur : passer ou tirer.
  2. Les points par possession (ou PPP) : statistique prenant en compte le nombre total de points marqués sur le nombre total de possessions.
  3. Les screen assists : si après pris un écran, le porteur de balle marque, le poseur d’écran comptabilise 1 screen assist. Traduction : passe décisive par écran.
  4. Le percentile : calcul effectué sur l’ensemble des joueurs de la NBA en fonction des points par possession. Plus le PPP est haut, plus le percentile sera élevé. Si un joueur possède un percentile de 100, cela signifie que personne dans la NBA n’a un PPP aussi grand que lui. Et inversement pour un percentile de 0… Mais c’est moins glorieux…
  5. La défense en protection : défense du joueur défendant sur le poseur d’écran. Au lieu de suivre le poseur d’écran au-delà des 3 points, il reste aux abords de la raquette, protégeant ainsi la raquette mais laissant l’attaque en 2c1 sur les postes extérieurs.
  6. Rouler après un écran : couper vers le cercle après son écran, avec l’intention de recevoir le ballon. Provient du terme « roll » dans pick & roll.

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