La NBA et la Chine : récit d’une histoire d’amour houleuse

Le Tweet du General Manager de Houston.  Le 4 octobre 2019, il est supprimé quelques minutes après sa publication. Source : Twitter.com

“Je me bats pour la liberté et soutiens Hong-Kong”.  Daryl Morey, le 4 octobre 2019. 

Un simple tweet provoque une crise médiatique qui fait vaciller la NBA . A l’ère des réseaux sociaux, la Grande ligue est trahie par ce qui fit sa réussite durant la décennie 2010, la communication comme arme d’expansion. 

L’équipe de James Harden avait rendez-vous à Shanghai en ce début octobre, pour un match de présaison. L’étincelle vient de Daryl Morey. Le General Manager des Rockets s’est exprimé en place publique sur un sujet géopolitique sensible.

 En 1997, les britanniques se séparent de Hong-Kong, leur ancienne colonie. Ils la cèdent à la Chine, conformément à un accord signé 99 ans plus tôt. La rétrocession doit se faire en douceur, et  l’île Hongkongaise jouit d’un statut particulier. En cette soirée d’octobre, Daryl Morey souhaitait afficher son soutien aux manifestants Hong-Kongais. Ces citoyens dénoncent les tentatives d’ingérence du régime autoritaire chinois sur l’autonomie de l’ancienne colonie. 

Après cette sortie médiatique, les sanctions tombent. Houston n’est plus autorisée à envoyer ses joueurs sur le territoire chinois jusqu’à nouvel ordre. Les sponsors locaux se désolidarisent de la franchise. Le consulat chinois demande la destitution du General Manager fautif. 

Mais la bourde dépasse le cadre sportif. Elle souligne les intérêts pluriels qui lient la NBA au géant chinois. La compétition ne se cantonne pas seulement aux parquets et une rivalité persiste entre la république populaire de Xi Jinping et les Etats-Unis de Donald Trump.

Rangez vos manuels de géopolitique. Pour comprendre les enjeux globaux qui se cachent derrière cet  incident, il faut revenir au basket. 

Tout commence par la construction d’un amour inconditionnel pour ce sport  sur le territoire chinois. 

Fans chinois de la grande ligue en 2019, source : Teller Report.

Le Basketball, un sport historique en Chine. 

Le 21 décembre 1891, jour férié pour les amateurs de balle orange. Le canadien James Naismith énonce les règles du “basketball”. Seulement quatre ans plus tard, des missionnaires américains de la Young’s Men Christian Association (YMCA) organisent le premier match de basket en terre chinoise. Oui, à l’échelle de la discipline, la pratique du basket en Chine est presque ancestrale. 

 Au début du XXème siècle, le jeu suscite déjà l’engouement des jeunes chinois. Pas besoin d’infrastructures complexes pour jouer au basket, seulement d’un ballon et d’un récipient circulaire en guise de panier. 

En 1949, les communistes prennent le pouvoir. Mao Zedong prône un anti-occidentalisme radical mais n’interdit pas ce sport né sur le continent américain..  Le tyran était-il passionné par la balle orange ? Peut-être, mais si le basket survit à la révolution culturelle (1966-1976) c’est qu’il n’est pas si antagoniste des valeurs du parti communiste. 

En Chine, ce sport est pratiqué par de jeunes hommes au sein des universités et par les militaires car il nécessite une parfaite cohésion entre les joueurs. C’est aussi une activité populaire qui se joue dans la rue. Enfin il nécessite la maîtrise de fondamentaux techniques qui s’acquièrent dès le plus jeune âge. Cohésion, rigueur et jeunesse se confondent dans  l’idéologie confucianiste de l’Empire du milieu. 

La culture du basketball est donc historique en Chine. Le pays est logiquement au centre des premières expériences d’expansion de la NBA à l’international.

Yao Ming, porte drapeau de son pays en compétition international, source : ChinaBriefing.com

Tout le potentiel de ce nouveau marché se révèle en 2002. Yao Ming, géant originaire de Shanghai (2m29) est choisi en première position de la draft. La légende dit que le gouvernement chinois aurait initié la rencontre de ses deux parents, tous deux basketteurs de grande taille, afin de faire naître athlète aux dimensions vertigineuses.

La carrière du joueur est entachée de blessures, mais sa domination technique et sa mobilité pour un big men de son envergure sont inédites. Le peuple chinois pousse derrière “l’enfant du pays” qui reste à ce jour le seul joueur international à terminer en première position des votes pour un all-star game. Intronisé au Hall of Fame en 2016, Yao Ming a participé à l’explosion du marché NBA en Chine. Il est aussi responsable de la popularité de la franchise qui l’a drafté : les Houstons Rockets. 

Time out et retour au premier quart-temps. Daryl Morey, GM des Rockets, a donc initié une crise médiatique entre sa franchise et une communauté de fans chinois qui lui est identitairement affiliée. 

Le marché chinois, darling de la NBA à l’international. 

Avec un poids démographique considérable, les fans chinois représentent la plus grande manne financière pour la NBA à l’international. Les matchs sont retranscrits sur les chaînes publiques en Chine : le China Central Television Network. En Juillet 2019, la NBA avait cédé ses droits de streaming à la compagnie chinoise Tencent  pour un contrat de 1,5 milliards de dollars sur 5 ans.  

Dans un article publié en automne 2019, le journaliste Jonah Blank de the Atlantic rappelle les sommes astronomiques générées par le marché chinois. Le basket est au coude à coude avec le tennis de table pour devenir sport national. Il est pratiqué par plus de 300 millions de licenciés. 

La NBA cherche ainsi à s’aligner sur la demande du marché chinois en produits et goodies NBA. La ligue a ouvert en mars dernier le plus grand NBA store à l’international, s’étendant sur plus de 1100 m2. 

Le Maillot City-Edition des Rockets pour la saison 2018-2019 : plébiscité par la fanbase chinoise de la franchise. Source : Nike.com

La ligue n’est pas tout à fait transparente sur ses recettes, mais de nombreux journalistes américains estiment que le chiffre d’affaire annuel réalisé sur le marché chinois s’élève à plus de 4 milliards de dollars. Statistique vertigineuse, près d’un demi milliard de chinois auraient regardé un match de la grande ligue lors de la saison 2018-2019. 

La sortie maladroite de Daryl Morey pourrait ainsi nuire aux rapports commerciaux entre la ligue et le gouvernement chinois, menaçant un marché considérable et indispensable pour la grande ligue. Mais l’intérêt de la NBA est-il de faire profil bas afin de préserver la poule aux oeufs d’or ? Car au delà des considérations économiques, c’est l’image de la NBA et par extension des Etats-Unis qui est menacée. 

La NBA, théâtre d’une guerre commerciale et idéologique entre deux puissances. 

La réaction du gouvernement chinois face à la publication du GM des Rockets cristallise le gouffre idéologique qui sépare les deux pays. Aux Etats-Unis, lorsqu’un joueur, coach ou membre du staff prononce des propos controversés en public, c’est la NBA qui se charge de régler l’affaire. 

Le contrevenant se voit systématiquement délivrer une amende salée. C’est un héritage de David Stern, ancien commissioner décédé récemment. Stern désirait redresser l’image de la ligue dans les années 1990.

 En Chine, le gouvernement n’hésite pas à influer sur les affaires privées des entreprises, il contrôle toute la société et sanctionne systématiquement en cas de dérive. 

L’opposition idéologique entre les deux pays est nette. Le premier amendement de la constitution américaine défend la liberté d’expression. Cette valeur est chère à la NBA qui se veut progressiste. En attestent les nombreux acteurs du jeu qui s’expriment régulièrement sur des sujets de sociétés internes aux Etats-Unis. 

Lebron James portant un tee-shirt avec l’inscription “je ne peux plus respirer” lors d’un échauffement en décembre 2014. Le King rappelle ainsi les derniers mots d’Eric Garner, victime de violence policière en juillet de la même année. Source : Robert Deutsch-USA TODAY Sports.

A l’inverse, le régime autoritaire de Xi Jinping applique une censure féroce au sein de la société chinoise. La sphère du basket n’est pas épargnée.  

La relation d’Adam Silver avec le géant chinois est donc délicate. Perdre ce marché colossal serait un suicide commercial pour la NBA, d’autant plus que les audiences globales enregistrées cette année sont au plus bas. Pourtant, il se doit de défendre l’image de la ligue qu’il conçoit comme progressiste et exemplaire. Le 8 octobre 2019, il déclarait ainsi via un communiqué de presse publié sur Nba.com : 

“Les valeurs d’égalité, de respect et de liberté d’expression caractérisent historiquement la grande ligue. Elles vont perdurer. En tant que ligue globalisée résidente aux Etats-Unis, ces valeurs du Basketball représentent une de nos plus grandes contributions.” 

Adam Silver, le 8 octobre 2019.

A l’issue de l’incident, Adam Silver défend ainsi son employé. Sa communication reste mesurée. Il rappelle les liens indéfectibles que le basketball a tissé entre les deux pays. 

Notamment l’organisation d’un camp d’entraînement en 2018, dans la région de Xinjiang. Dans cette province, plus d’un million de musulmans Ouïghour sont prisonniers en camps de détention, longtemps cachés par le gouvernement chinois. Le discours progressiste de la NBA doit ainsi être nuancé. “Même” le controversé Donald Trump a imposé en 2019 un embargo économique aux entreprises chinoises impliquées dans l’oppression de cette minorité. 

La NBA a donc besoin de la Chine, ce qui explique son positionnement mesuré malgré des valeurs idéologiques opposées. Mais la Chine a-t-elle besoin de la NBA ? 

La CBA, une organisation sportive balbutiante. 

Certes, le basket est un phénomène populaire en Chine. En compétition FIBA, à l’échelle continentale, la nation écrase tout sur son passage. Pourtant, la Chine peine à exporter son modèle de basketball à l’étranger. Quelques exceptions persistent. Le phénomène Linsanity montre qu’un joueur asiatique peut s’exprimer et performer en NBA. Lors du mois de février 2012, Jeremy Lin, joueur non drafté est propulsé au rang de franchise player éphémère pour le marché le plus médiatisé de toute la NBA : les New York Knicks. En l’absence d’un Carmelo Anthony blessé, ses performances affolent la planète basket : dans la soirée du 10 février, il inscrit 38 points au Madison Square Garden contre les Lakers d’un Kobe Bryant dépassé.

Jeremy Lin sous les couleurs des Knicks en 2013, source : thehuffingtonpost

La frénésie médiatique autour de ce joueur s’explique par le fait qu’il est un symbole du “rêve américain”. Athlète honnête, Jeremy Lin n’était pas prédisposé à devenir une star, c’est un compétiteur qui a fait preuve d’opportunisme. 

Un phénomène à prendre avec des baguettes, car Jeremy Lin n’est pas chinois. Il est né en Californie et dispose de la nationalité américaine. Ses parents sont des immigrés Taïwanais, ce qui l’exonère de toute allégeance à la Chine. Pourtant, Jeremy Lin a affirmé souffrir toute sa carrière sportive des stéréotypes et discriminations liées à ses origines asiatiques. 

Yao Ming reste le seul chinois à avoir émergé en tant que superstar au sein de la ligue  américaine. Les saisons de Yi Jianlian (2007-2012) ou Wang Zhizhi (2000-2005) furent anecdotiques. Dans l’histoire, seul six joueurs chinois ont foulé les parquets NBA. 

Pourtant, les perspectives commerciales de recettes télévisées et produits NBA semblent considérables pour la Chine. Le 17 janvier 2003, plus de 200 millions de chinois étaient devant leur téléviseur pour le premier match de Yao Ming contre les Lakers de Shaquille O’Neal.  

La NBA est un vecteur de démocratisation du basketball formidable pour le développement de ce sport en Chine. Le gouvernement chinois l’a compris et a nommé Yao Ming comme dirigeant de la Chinese Basketball Association (CBA). Qui de mieux que le géant pour faire la promotion de ce sport en Chine, lui qui connaît les rouages de l’industrie NBA outre-atlantique. Depuis 2017, Yao Ming essaye de faire évoluer la CBA, valorisant la formation des jeunes et l’émergence de nouvelles formes de jeu, comme le 3 contre 3. 

Si la Chine a organisé la dernière coupe du monde en août 2019, le niveau de basket global sur le territoire reste faible. Passer par la Chine en tant que joueur NBA est devenu une plaisanterie consacrée, signe d’une carrière en déperdition. Les équipes chinoises sont en manque de talent et proposent de juteux contrats à des joueurs devenus trop vieux ou indésirables aux Etats-Unis. Actuellement, Stephon Marbury (Beijing Ducks) ou Michael Beasley (Shanghai Sharks) enchaînent les cartons offensifs en CBA. 

Attirer des anciennes gloires permet cependant de mettre la lumière sur le championnat CBA et de poursuivre la quête de popularisation de ce sport en Chine. Yao Ming semble sur la bonne voie pour trouver un successeur qui viendra reprendre son flambeau en terre américaine. 

La sortie médiatique de Daryl Morey en automne 2019 est symptomatique des relations ambiguës entre la NBA et la Chine. Les enjeux commerciaux sont considérables et la grande ligue ne peut se séparer du marché chinois. Au second plan de ce constat, les Etats-Unis et la Chine sont opposés idéologiquement et grands rivaux économiques. La NBA est le théâtre de cette compétition planétaire. La ligue se veut mondialisée et ces confrontations culturelles font partie des risques induits par l’élaboration de sa politique internationale. Du côté chinois, le basketball fait partie de l’ADN du pays. L’enjeu majeur de la CBA est l’expansion de ses centres de formation afin de rehausser le niveau de son championnat national. Gare à la rivalité qui commence à émerger à l’échelle régionale. 

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