Parce que la NBA regorge de performances en tout genre passées à la postérité ou progressivement oubliées avec le temps, ClutchTime vous propose de revivre ces matchs et exploits de légende, qui ont façonné l’histoire de la ligue, d’hier à aujourd’hui.
Direction la saison 1993-1994 et le dernier match opposant les San Antonio Spurs de l’admirable David Robinson aux Clippers de Los Angeles. Les Texans viennent de réaliser l’un des meilleurs exercices de leur histoire (54 wins) et occupent une belle quatrième place à l’Ouest synonyme d’avantage du terrain au 1er tour des playoffs. Cerise sur le « taco », le pivot est en tête du classement des meilleurs marqueurs de la saison régulière, à égalité avec le jeune Shaquille O’Neal, mais avec un léger retard à quelques centièmes de points. L’occasion est trop belle pour le quintuple All-Star de montrer qui est le vrai patron.
The Admiral Robinson
Pour les moins initiés d’entre nous, David Maurice Robinson est née le 6 août 1965 à Key West en Floride. Après ses années high school en Virginie, le grand David s’engage comme son père dans l’armée, et plus précisément à l’Académie navale de l’US Navy, à Annapolis (Maryland). Sélectionné lors de la draft 1987 en 1ère position par les San Antonio Spurs, il ne rejoindra la grande ligue qu’en 1989, le temps de terminer son cursus militaire.
Immédiatement titularisé par une franchise qui galère pas mal depuis les retraites de George Gervin et Artis Gilmore, le meilleur Rookie de la saison 1989-90 devient très vite une pointure à son poste et dans la ligue. Meilleur défenseur de l’année 1991-92, sélectionné à cinq reprises pour le All-Star Game, et nommé chaque année dans une équipe-type NBA et une équipe-type défensive, Robinson reste néanmoins un joueur humble et discret, qui pense d’abord et même tout le temps à l’équipe, avant de penser à lui.
Il n’a d’ailleurs jamais fait montre d’un individualisme ou d’un égocentrisme prononcé sur un parquet ou en dehors, traits pourtant communs à de nombreux joueurs de sa génération. Alors qu’il aborde son dernier match de saison régulière face aux Clippers ce 24 avril 1994, le futur papa est, à sa grande surprise, au coude à coude pour le titre de Meilleur marqueur de la saison régulière avec un autre pivot très en vogue à l’époque, Shaquille O’Neal.
Un Duel de Big Men
Avant cette ultime rencontre, Robinson était devancé par le Shaq, mais le Texan talonnait de très près le Floridien avec l’un des plus faibles écart jamais constaté (33 points), les deux pivots affichant la même moyenne de points après la première décimale (29.3). Le même jour, quelques heures seulement après la rencontre entre les Spurs et les Clippers, O’Neal plantera comme à son habitude un double-double, le 65ème cette saison, face aux Nets de New Jersey avec 32 points et 22 rebonds. Une performance vaine pour le joueur du Magic.
En déplacement pour leur dernier match, les Spurs rendent visite au Memorial Sports Arena des Clippers. Vainqueurs de leur quatre premières confrontations, John Lucas (coach des Spurs de 1992 à 1994) et ses hommes arrivent confiants et avec le sentiment du devoir accompli depuis qu’ils ont décroché leur qualification en post-season. L’objectif principal étant atteint, les Texans peuvent offrir un très beau cadeau à leur pivot en le laissant se régaler au scoring.
Dès le début du match, Robinson commence sur les chapeaux de roues avec 18 points consécutifs sur les vingt points inscrits par son équipe dans le premier quart-temps. Malgré une baisse de régime dans le deuxième quart où il ne va inscrire que 6 points, Robinson rentre tout de même aux vestiaires avec 24 points dans l’escarcelle et un court avantage au tableau d’affichage pour son équipe (37-35).
Dès l’entre-deux, j’étais bouillant, J’ai marqué les 18 premiers points de mon équipe, soit presque l’intégralité des points du premier quart-temps (20). Lorsque mes coéquipiers ont réalisé à quel point j’avais la main chaude, ils ont continué à me chercher du regard, essayant de me donner coûte que coûte le ballon.
David Robinson
Tout en maintenant l’écart, les coéquipiers de Robinson commencèrent à chercher leur pivot sur chaque possession en deuxième période, pour faire en sorte qu’il puisse avoir un maximum de ballon afin de marquer. Avec 19 points supplémentaires dans le troisième quart-temps, portant son total à 43, L’Amiral ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin alors que les Clippers n’avaient pas dit leur dernier mot. Après avoir regagné le banc, Robinson reçu même une ovation de la part du public.
Les Clippers ont bien tenté de me stopper, en me griffant, me donnant des coups et en me mettant la pression avec des prises à deux ou trois pour essayer de m’empêcher de marquer, mais en vain. J’avais des égratignures et des bleus, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas pu inscrire plus de paniers dans le second quart-temps
David Robinson
Dans la dernière manche, le Texan va tout de même inscrire 28 points supplémentaires, dont sept rien que dans la dernière minute du match. Il terminera d’ailleurs la rencontre avec 14 rebonds et 5 passes décisives, compilant ainsi son 46ème double-double de la saison, pour une victoire 112 à 97. Durant toute la rencontre, l’Amiral a laminé la défense des Clippers, en shootant à 63%.
Pour la petite anecdote, John Lucas, l’entraîneur des Spurs, avait décidé à une minute de la fin de provoquer les fautes adverses et les Clippers par la même occasion pour offrir quelques lancers supplémentaires à son pivot. Ce dernier termina la rencontre avec 41 tentatives aux tirs (26 paniers inscrits) et 18 lancers francs rentrés sur les 25 qui lui ont été accordés.
Les Clippers ont bien défendu dans le dernier quart-temps, mais malgré la pression défensive et en sachant que le ballon m’était destiné presque à chaque fois, j’ai réussi à inscrire 28 points supplémentaire. Ça les rendait dingues de ne pas savoir comme me stopper, ils me pourrissaient en me répétant sans cesse : « Hors de question qu’on te laisse gagner le trophée si facilement ».
David Robinson
Robinson améliora considérablement sa précédente marque au scoring (52), mais établira surtout un nouveau record de points inscrits au cours d’un même match pour la franchise des Spurs, détrônant ainsi George Gervin, qui en avait collé 63 au Jazz de la Nouvelle Orléans en avril 1978, il y a seize ans presque jour pour jour.
Cette performance a permis notamment à Robinson de terminer la saison avec 29.8 points de moyenne, soit 0.5 points de plus que Shaquille O’Neal (29.3). Ce fut d’ailleurs le seul titre de Meilleur marqueur de la carrière du Hall of Famer, et sa meilleure moyenne de points inscrits au cours d’une saison. Il rejoindra d’ailleurs Gervin parmi les Spurs ayant remporté ce trophée, les seuls encore à ce jour.
J’ai regardé la feuille de match et j’ai répondu ’71 points ! Bon sang !’ C’était incroyable. Toute l’équipe était derrière moi durant la saison, ils m’ont poussé sans cesse à jouer plus perso. En tant que leader, je voulais juste gagner des matchs, mais ce soir, ils voulaient tous me voir prendre des tirs. Lorsque le match a démarré, ils se sont entendus pour jouer presque tout le temps sur moi dès que j’étais sur le terrain.
David Robinson
Avec cette performance, l’Amiral fît son entrée dans le cercle très fermé des joueurs ayant inscrit au moins 70 points au cours d’un match, devenant le quatrième joueur seulement après Elgin Baylor (71), David Thompson (73) et Wilt Chamberlain (6 fois dont une fois à 100 points) à réaliser pareille prouesse. Plusieurs personnalités de l’époque ont commenté cette performance, certains la jugeant comme une « parodie » de basket selon les dires de Brian Hill, entraîneur du Magic d’Orlando, ou bien encore l’un des vaincus de la soirée, Dominique Wilkins, qui déclara en conférence de presse :
Il n’y a aucune fierté là-dedans. Si vous arrivez à vous regarder dans un miroir après une telle performance et que ça vous remplit de fierté, c’est que quelque chose ne tourne pas rond chez vous. Je n’ai rien contre David, c’est un joueur formidable, mais comment peut-on laisser un gars inscrire 71 points ? C’est ridicule. Tout a été fait pour qu’il puisse y parvenir. Que les Spurs jouent pour lui durant toute la rencontre pourquoi pas, mais la façon dont nous avons joué ce soir, c’est comme si nous l’avions aidé aussi. Dans toute ma carrière, je n’ai jamais vu une chose pareille. Qu’on lui donne le trophée de MVP aussi !
Dominique Wilkins
John Lucas a tenu à défendre son joueur « C’est une performance légitime. Il a joué 44 minutes alors qu’il aurait pu tout à fait jouer l’intégralité de la rencontre. Tout le monde voulait qu’il obtienne ce trophée. Je devais pousser David à devenir égoïste le temps d’un match».
L’entraîneur des Clippers, Bob Weiss avait d’ailleurs déclaré à la fin de la rencontre que Robinson avait été spectaculaire : « C’est ce que l’on redoutait le plus. Nous avons pourtant défendu à deux sur lui presque à chaque fois, mais il est quand même parvenu à marquer tous ces paniers. Même si le match a pu paraître ridicule pour certains, il a bien joué et il mérite son titre ».
Le saison idyllique texane prendra pourtant subitement fin dès le premier tour des phases finales après une élimination (3-1) face au Jazz de l’Utah de Malone et Stockton, tandis que Robinson marquera moins de points sur l’ensemble de la série (62) qu’il n’en avait inscrit lors de son dernier match de saison régulière.
Robinson a néanmoins prouvé ce soir-là qu’il était l’un des joueurs les plus doués et les plus complets de sa génération. Dynamique des deux côtés du terrain au point d’être un jour capable de réaliser pareille performance, il est souvent considéré, à juste titre, comme une icône dans l’histoire de la ligue et de la franchise texane. Robinson a toujours fait preuve de professionnalisme tout au long de sa carrière, ainsi que d’une domination sans équivoque avant l’arrivée de Tim Duncan en 1997 et de leur association qui les amèneront à remporter deux titres NBA ensemble.
L’Alamodome a souvent eu l’occasion d’admirer, soir après soir, les performances d’un joueur qui donnait toujours le meilleur de lui-même sur un parquet, se transcendant dans les moments forts et participant à la révolution au poste de pivot et du basket dans les années 90. Un joueur souvent méconnu ou mésestimé pour sa contribution au jeu, mais qui en inscrivant son nom au panthéon des joueurs ayant inscrits le plus de points sur une rencontre, demeurera éternel.
Retraité depuis 2003, Robinson a terminé sa carrière avec 21.1 points, 10.6 rebonds, 3 contres et 2.5 passes de moyenne, remportant deux titres NBA et deux médailles d’or aux Jeux de Barcelone et Atlanta ainsi qu’un titre de champion du monde avec la Team USA, sans compter un trophée de MVP de la saison régulière 1994-95, celui du Défenseur de l’année en 1992 et qui fut sélectionné à dix reprises pour le All-Star Game.