« L’amitié d’abord, la compétition après”. En 1971, c’est le slogan qui caractérise les échanges des Etats-Unis avec la Chine de Mao, durant la 31ème édition des championnats du monde de … Tennis de table. C’est la « Diplomatie du Ping-Pong », ou comment profiter du sport pour tisser des relations entre deux puissances géopolitiques en froid. Quel rapport entre un pongiste nerveux , raquette à la main et un pivot musculeux maniant la balle orange ? Bien avant cette Diplomatie du Ping-Pong, les Etats-Unis ont expérimenté une stratégie internationale du grint and grind, en défense tout terrain, par l’intermédiaire des Harlem Globetrotters. La semaine dernière, Clutchtime vous contait le périple de cette équipe afro-américaine dans une société racialisée. Votre média basketball revient aujourd’hui sur le premier épisode de la franchise qui a joué un rôle majeur dans les prémices de la guerre froide : tout commence en 1951 …
Ice in my veins
Vous l’avez appris au lycée ou sur les bancs de la fac. La guerre froide ne fut pas un conflit armé direct mais un affrontement idéologique et politique. Une opposition de style, Lakers versus Celtics, Deandre Jordan contre Isaiah Thomas. La naissance de la NBA à l’issue de la Seconde Guerre mondiale coïncide avec le début des tensions entre les deux blocs.
A l’instar de notre Grande Ligue, le monde est divisé en deux. Joseph Staline, à la tête de la conférence Est, dirige encore d’une main de fer l’espace soviétique et ses Etats satellites. Aussi têtu que Mike D’Antoni, le communisme est le seul système de jeu toléré pour tous. Côté conférence Ouest, les Etats-Unis de Truman défendent leur vision de l’État idéal : une démocratie libérale et capitaliste. Les enjeux de cette compétition ? Remporter le titre : asseoir sa domination militaire, étendre son aire d’influence idéologique et économique à la planète.
L’animosité se cristallise par deux discours étatiques qui nient la légitimité de leur concurrent. C’est la doctrine Truman aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest contre la doctrine Jdanov en URSS et en Europe de l’Est. Bien avant la construction du mur en 1961, Berlin est déjà le théâtre de cette opposition. La ville est internationale et fragmentée en plusieurs zones d’occupation. Dans ce contexte houleux, les Globetrotters débarquent sur un “vieux continent” déjà initié à la balle orange, grâce au passage de missionnaires américains au début du siècle.
La Hype est donc réelle. Abe Saperstein, le “Picsou” des Globetrotters sait que ce voyage en Europe est une opportunité pour s’enrichir et participer à faire grandir la renommée de la franchise. Les globe-trotters commencent leur tournée en mai 1950. Au programme, des work-out avec les locaux pour démontrer la supériorité du basket américain, et plus de 73 rencontres, notamment à Lisbonne et à Paris. Le phénomène “globetrotters” conquis le public européen avec un basketball virtuose, décomplexé ET pratiqué par des afro-américains. Ce dernier détail n’est pas anodin, il donne une dimension mystique à l’équipe. En France par exemple, sans les deux guerres mondiales et la proximité des soldats sur le front, de nombreux individus n’auraient pas eu l’occasion de rencontrer des citoyens étrangers, noirs de surcroît. L’émulation créée par le passage en ville des Globetrotters est remarquée par le secrétaire d’Etat Américain de l’époque : Dean Acheson.
Au service de la propagande
Le sport, aux USA c’est presque une affaire d’Etat. Le gouvernement de Truman désire utiliser cet aspect culturel américain comme outil de propagande. Acheson déclare, dans un télégramme envoyé aux responsables de son département :
« Le département a remarqué le parcours des Harlem Globetrotters (des joueurs de basketball noirs*) et reconnait leur qualité en tant qu’ambassadeurs de valeur, particulièrement dans les pays critiques du traitement des noirs* aux Etats-Unis. »
Source : The Big Read “The Ambassadors” Dave Zarum. *Le texte original utilise le terme “Negroes” qui a ici été remplacé par « noirs » par souci de bienséance.
Les pays détracteurs des Etats-Unis évoqués par Acheson, c’est l’ensemble des nations affiliées à l’Union Soviétique. Le bloc de l’Est dénonce l’hypocrisie Étatsunienne.
L’Uncle Sam se veut “gendarme du monde”, fervent défenseur de la liberté pour tous les peuples, mais perpétue un système discriminatoire envers ses propres citoyens. Une équipe uniquement composée d’athlètes afro-américains, patriotes et émissaires de l’excellence étatsunienne à l’international est une opportunité en or pour la propagande gouvernementale. Les Harlem Globetrotters représentent le contre-exemple parfait à toutes les accusations proférées à l’encontre du champion du “Monde Libre.”
Ces accusations ne sont pas infondées. Les membres des Globetrotters ont grandi avec le fardeau que représentait leur couleur de peau dans la société américaine. Plus surprenant, leur statut d’athlète professionnel/comédien n’est pas accepté par tous aux Etats-Unis. De nombreuses critiques émanent de la communauté afro-américaine. L’autre équipe star de l’époque, les New-York Renaissance, leur reproche de ne jouer au basketball que pour divertir un public blanc. Ils accusent les Globetrotters de proposer un spectacle similaire à celui des Minstrels.
Populaires au XIXème siècle aux Etats-Unis, les Minstrels Shows étaient des représentations mettant en scène des acteurs blancs blackfaced, déguisés en afro-américains. Entre théâtre et concert raciste, les soirées Minstrel cherchaient à provoquer le rire chez le public en imitant de façon grotesque des clichés prétendument associés aux afro-américains.
La mission confiée par le secrétaire d’Etat à l’équipe d’Abe Saperstein tient ainsi de l’opportunisme politique. Le chef du département des affaires étrangères fait mine de rester en retrait, c’est pourtant lui qui pousse à l’organisation d’une rencontre “Harlem Globetrotters contre les Boston Celtics”, le 22 août 1951, à Berlin en République Fédérale Allemande.
Une tentative de contre
Le choix de la date n’est pas innocent. Au début du mois dans la même ville, Staline a organisé son “Troisième Festival de La Jeunesse et des Étudiants”. Ce rassemblement a pour but de démontrer la puissance et la détermination de l’URSS dans un contexte de tensions croissantes avec son rival américain. Le festival attire plus de 200 000 ressortissants de 104 nations acquises aux valeurs du communisme.
Le match de basketball est ainsi une tentative du gouvernement américain pour contrer la propagande soviétique et réaffirmer sa vision du monde.
Près de 80 000 personnes viennent regarder jouer des Globetrotters qui arborent leur tenue aux couleurs du drapeau américain. Le public connaît déjà la plupart des stars qui viennent s’affronter. La propagande américaine a toujours un coup d’avance. En octobre, la même année, l’industrie cinématographique hollywoodienne avait produit un long métrage intitulé The Harlem Globetrotters (Columbia Pictures, Phil Brown, 1951). Le film mettait bien sûr en valeur Marques Hayes, Louis “Babe” Presley, Rece “Goom” Tatum et les figures majeur de l’effectif présent à Berlin.
Le résultat du match est ainsi plus anecdotique que toute la symbolique qui l’entoure. Le gouvernement américain est bien présent. C’est lui qui sponsorise la rencontre et sa logistique par l’intermédiaire des autorités locales. A cette époque, Jordan McCloy est le haut commissaire étatsunien de République Fédérale Allemande . Cependant, il désire rester discret afin de sacraliser le tout puissant capitalisme. Il s’agit de démontrer qu’une entreprise privée comme la franchise des Globetrotters peut recruter et valoriser des athlètes performants. En filigrane, c’est un nouveau pied de nez au système sportif et culturel russe : un communisme assumé qui fonctionne grâce à l’interventionnisme étatique.
Le sens du show à l’américaine, de la surprise, est un atout publicitaire de taille. A la mi-temps, un hélicoptère de la US Air Force apparaît à l’horizon. Il se rapproche du public et fait trois fois le tour du stade avant de se poser. Un homme en sort et commence à courir sous les “hourra” de la foule. C’est Jesse Owens. Le sprinteur afro-américain qui a tenu tête à Hitler durant les jeux de Berlin de 1936.
L’athlète est un symbole fort pour la propagande américaine. Il représente la victoire contre le nazisme, fait d’arme largement attribué aux Etats-Unis, et l’accès à la gloire, au rêve américain, pour un afro-américain.
Après le match, Owens conclu : “We did a great job selling America”.
La rencontre fut ainsi un succès politique. Pour les joueurs, elle ne fait que conforter le sentiment amer qu’ils ressentent ici en Europe. Sur ce continent ils sont adulés par la foule, et leur couleur de peau semble moins problématique. Ils sont considérés comme des athlètes superstars. L’accès aux hôtels, restaurants et festivités organisées en leur honneur n’est pas marqué par un préjudice racial. Cette différence de traitement de faveur est d’autant plus criante lorsqu’ils retournent aux Etats-Unis.
Le mouvement pour les droits civiques qui secoue la société américaine des années 1960 est en partie né à cette dynamique du voyage. Des athlètes afro-américain ont découvert la reconnaissance outre-atlantique, et ont pris conscience que leur statut aux Etats-Unis n’était pas immuable.
Le match à Berlin sera le premier coup d’éclat de la propagande sportive américaine contre l’URSS. Les Globetrotters continuent leur “Communist Tour” durant la décennie. En 1959, l’équipe emmenée par un certain Wilt Chamberlain reçoit la médaille de l’Ordre de Lénine des mains de Khrouchtchev, plus haute distinction de l’Etat. Leur influence va pourtant s’atténuer alors que les talents des globies fuient en NBA et que la Grande Ligue prend le relais. En 1988, dans un contexte géopolitique tendu, les Atlanta Hawks sont la première équipe américaine à fouler le sol de l’URSS. Dominique Wilkins et ses camarades représentent les Etats-Unis. Ils représentent aussi l’amour du jeu, face à un CSK Moscou talentueux et épris de cette même passion du basket. Le sport, au delà des différents culturels, adoucit le ressentiment. C’est grâce à l’opposition sur le terrain que l’on cherche la réconciliation.