C’est officiel, Victor Wembanyama, le MVP du championnat de France 2023, finaliste avec les Mets 92 contre l’AS Monaco en juin, numéro 1 de la draft NBA 2023 engagé désormais avec les Spurs de San Antonio, ne participera pas à la Coupe du Monde FIBA 2023 avec l’Équipe de France de basket. Un coup dur pour la sélection française qui prépare également les JO de Paris 2024, une décision difficile mais nécessaire pour le futur rookie des Spurs, en concertation avec son propre staff, qui prépare déjà sa transition entre France et États-Unis. Et comme à son habitude, le jeune joueur ne laisse rien au hasard.
Une marche très haute
Même s’il a été sélectionné en numéro 1 de la draft NBA cette année, comme c’était attendu, la tâche s’annonce très difficile pour Victor Wembanyama. En effet, du haut de ses 2.24m, il n’a toujours que 19 ans et tout à prouver en NBA. Sa sélection historique en #1 ne correspond pas à son niveau actuel, mais à son potentiel. C’est un projet sur le long terme pour les Spurs, qui ne pouvaient pas se permettre de le laisser passer. Il ne devrait donc pas être prêt à jouer les premiers rôles dès sa première année, mais il entend bien limiter la casse au maximum et vise déjà, d’emblée, le titre de rookie de l’année. Il va donc clairement morfler au contact des joueurs les plus physiques de la planète, surtout à l’intérieur, mais pas trop, si tout se passe bien. Et pour que tout se passe bien, il préfère éviter les détours… et jouer autant de matches que possible. Détail important pour la suite.
Un bras de fer avec le staff des Spurs
Engagé pour les Summer leagues, qui démarrent à Sacramento dès le 3 juillet et se poursuivent à Las Vegas le 7, Victor Wembanyama a déjà prévenu le staff technique des Spurs qu’il souhaite participer à l’ensemble des matches possibles lors de sa première saison en NBA. Ce à quoi les Spurs ont répondu qu’ils « feraient leur possible pour accéder à cette demande ». Les termes sont clairs, les réponses un peu moins, ce qui indique une relation déjà constructive et dynamique entre le joueur et son nouveau club, mais avec un bras de fer sous-jacent – le jeune présente déjà des exigences inattendues qui peuvent ne pas être en accord direct avec le staff technique des Spurs, connu pour pratiquer volontiers le load management avec ses joueurs. Une partie d’échecs où chacun avance ses pions, le premier étant malheureusement pour le public français et la fédé sa participation à la Coupe du Monde FIBA cet été.
Qu’est-ce que le load management ?
Depuis quelques années, plusieurs clubs NBA prennent des libertés avec le calendrier imposé par la ligue, très chargé et parfois proprement déraisonnable en termes de récupération – le fameux 4 matches en 5 soirs, par exemple. Les clubs n’ont pas d’autre choix pour préserver la santé de leur jours que de décider parfois même au dernier moment d’aligner une équipe B à un match important pour la télévision américaine. Certaines belles affiches sur le papier sont donc régulièrement gâchées par l’absence inopinée d’une ou plusieurs stars, non pas pour cause de blessure, mais pour la récupération des joueurs et leur santé à long-terme. Les spectateurs voient donc arriver leur vedette tant attendue en tenue de ville.
Les Spurs ont été précurseurs de cette pratique, refusant par exemple d’aligner quatre joueurs majeurs contre le Heat de Lebron James en novembre 2012 (pas de TP, Duncan, Manu ni Danny Green). C’était le sixième match d’une tournée, les Spurs ayant gagné les 5 premiers matches, et c’était le seul déplacement de la saison à Miami, contre un rival pour le titre de champion NBA. Un match très attendu par les fans et les chaînes de télévision, mais à l’évidence difficile pour des Spurs surmenées. Gregg Popovich a donc décidé non seulement que ses joueurs vedettes n’y participeraient pas, mais les a en plus renvoyés directement à San Antonio sans assister au match, afin de se reposer en vue d’un prochain match contre les Grizzlies. Le club a écopé d’une amende de 250 000 dollars, alors même que sur le fond, la ligue ne contestait pas la décision du coach, mais plutôt ses modalités et son timing, ne laissant ni aux fans, ni à la ligue, ni aux organisateurs à Miami le délai de prévenance habituel. Les clubs restent souverains dans les décisions, mais il y a un protocole, qui n’avait pas été respecté.
Depuis, le load management est rentré dans les habitudes, ce qui permet aux clubs de mettre au repos légitimement leurs stars lors du deuxième match de suite (le fameux back-to-back). Afin de préserver leur jeune recrue, les Spurs comptaient probablement surveiller de près sa fatigue et pouvaient envisager de réduire ses apparitions en matches de saison régulière, surtout dans une saison qui risque de se solder sans play-offs, donc sans enjeu sportif réel. Autant ménager le rookie, qui sera sollicité par sa fédération lors de compétitions estivales, notamment les Jeux Olympiques de Paris à l’issue de sa première saison, à l’été 2024.
Pas de bleus cet été, mais pas de load management
Cependant, ce n’est pas la préférence du rookie, qui l’a déjà fait savoir, pas de load management pour sa première saison américaine. Pour être au mieux avec son club et pouvoir exiger de jouer tous les matches lors de sa première saison, mais également optimiser sa préparation américaine, Victor Wembanyama a déclaré forfait pour la Coupe du Monde FIBA 2023 qui l’aurait emmené en France fin juillet pour la préparation puis à Jakarta fin août. Un été en bleu, dans un système de jeu particulier, différent de son ancien club (Boulogne-Levallois) et de son futur club (San Antonio), avec des règles différentes (FIBA) et la perspective d’une lutte difficile dans la raquette malgré la présence de Rudy Gobert au poste de pivot titulaire. Par cette décision difficile mais murement réfléchie, Victor Wembanyama se libère du poids considérable d’une compétition très relevée et très attendue par la FFBB et le public français; il peut désormais se focaliser exclusivement sur la préparation de son année rookie à San Antonio, qui s’annonce extrêmement difficile et nécessite toute son attention. C’est embêtant pour la Fédération Française de Basketball (FFBB) et la FIBA, pour le public qui l’attendait, pour les supporters français évidemment, mais tout le monde peut comprendre la logique et approuver le raisonnement, la retenue. Pas malin de se cramer tout l’été après une saison intense en LNB qui s’est terminée en finale mi-juin, à un an des Jeux Olympiques et avec une année NBA déterminante qui démarre mi-septembre et qui sera forcément exténuante (avec le fameux rookie wall, à négocier intelligemment). Sans pause réelle, c’était mission impossible.
Les devoirs de vacances en Summer League
Au lieu d’endosser le rôle de sauveur d’une sélection française, avec la certitude de s’attirer deux ou trois défenseurs et autant de coudes, de fautes flagrantes ou des petits coups en douce souvent ignorées par l’arbitrage, le rookie des Spurs va pouvoir se familiariser avec le staff qui va le suivre toute l’année, en commençant par les matches estivaux qui présentent déjà, contrairement à ce que certains en disent, une opportunité d’apprentissage très intéressante pour le jeune français, avide de nouveaux challenges. Ce n’est pas la NBA, certes, mais quand on vient de Boulogne-Levallois face à Bourg-en-Bresse, Monaco, Blois et Nanterre, chaque étape américaine est bonne à prendre.
Un profil des plus atypiques
Ne vous y trompez pas, Victor Wembanyama est un cas unique. Dans le basket français, un tel monstre physique et athlétique était proprement injouable. Sa seule présence en attaque comme en défense posait des problèmes inédits pour des professionnels pourtant aguerris. Régulièrement, les clubs adverses refusaient d’entrer dans la raquette pour éviter le contre inévitable du géant boulonnais. On a même vu des joueurs jeter la balle plutôt que de se faire contrer sur un shoot à 3 points. Monaco, en finale, a utilisé une technique coordonnée à deux pour permettre au meneur de jeu d’accéder au panier en poussant le pivot de 2,24 mètres de côté.
Et en défense, toute l’équipe était mobilisable sur chaque action : dès que Wemby recevait le ballon, il devait affronter deux, trois voire cinq joueurs, ouvrant considérablement le jeu pour ses coéquipiers, qu’il savait trouver pour une passe décisive presque trop évidente – un jeu totalement faussé. Ses statistiques impressionnantes pour un joueur de 19 ans, ont donc été réalisées dans un contexte très particulier. C’est pourquoi rester une saison de plus en championnat de France n’aurait pas réellement servi – il ne rencontrera jamais de telles situations en NBA, où son avantage de taille sera moins important. Sa préparation doit donc se faire désormais exclusivement sur le sol américain, où la concurrence est plus élevée globalement et à chaque poste, rendant un 5 contre 1 pratiquement impossible. Curieusement, si son vis-à-vis sera plus costaud, le jeu dans son ensemble devrait être plus clair.
Victor veut jouer Lebron
Visiblement, Victor Wembanyama ne veut rater aucune rencontre en NBA lors de sa première saison. C’est essentiel pour son processus d’apprentissage, sa boîte noire interne qui enregistre chaque possession, c’est ce qui lui a permis de progresser considérablement en LNB cette saison, où il n’a pas raté une minute de jeu, jamais abandonné un match même mal parti (comme en témoigne le premier match de la finale contre l’AS Monaco, une deuxième mi-temps exemplaire après une première mi-temps catastrophique, alors que le score était sans appel: 21-52 à la mi-temps puis 64-87 à l’arrivée). Au lieu de se reposer sur le banc pour la suite de la finale, le MVP des Mets a joué la deuxième mi-temps comme un nouveau match, remporté pour la gloire (43-35 pour les Mets). Toute l’année, on l’a vu jouer chaque ballon avec la même intensité, même après le coup de sifflet de l’arbitre; quand un adversaire tentait un shoot qui ne comptait pas, Wemby allait chercher le ballon au-dessus du cercle, en mode Georgetown – pas de panier, même pour rien.
Pour le rookie des Spurs, pas question, sauf problème de santé caractérisé, de rater une affiche dont il rêve depuis si longtemps. Chaque expérience sera importante pour lui. Et il ne souhaite pas en être privé sur décision administrative de son club, même bienveillante. Il est jeune, il veut vivre sa saison rookie à fond. Ses héros de NBA, il les rencontrera tous. Il ne reculera devant aucun challenge. Donc, il a pris les devants, il fait là une énorme concession dès le début, afin de se donner toutes les chances d’aborder le championnat NBA dans les meilleures conditions – les siennes. Il montre aux Spurs qu’il est lucide, engagé mais raisonnable. Et surtout, il garde un œil sur sa propre santé, préférant ne pas disperser ses efforts avec des attentes excessives, l’obligation de se ménager ici et là. Il s’engage donc à fond pour les Spurs dans un premier temps, mais sera tout aussi déterminé et disponible pour le maillot bleu lors des Jeux Olympiques de Paris 2024.
Trouver sa place en NBA et en Bleu
Avec son parcours sans faute cette saison, ou presque (une belle gifle en finale), Victor Wembanyama donne sans doute une impression de facilité. On entend donc que la Summer League, c’est trop facile pour lui, ça n’a aucun intérêt. L’équipe de France, c’est cadeau. Et l’enchainement LNB, Equipe de France cet été, année rookie en NBA directement après, c’était jouable. Eh bien selon les calculs de Wemby et son staff, cela ferait 170 matches en 2 ans, ça ne passe pas.
Un choc culturel à la fois. Pour réussir en Équipe de France, Victor Wembanyama va devoir trouver sa place dans un effectif habitué aux grands rendez-vous internationaux (finaliste aux JO de Tokyo en 2021). Même si on se doute que la greffe ne posera pas vraiment de problèmes, cela reste un travail spécifique important avec une nécessité de résultat immédiat – l’Or ou rien. C’est très facile à dire, bien plus compliqué à mettre en place et à assumer au jour le jour, face à chaque adversaire, sur le terrain. Personne ne nous fera de cadeau. En repoussant cette échéance-là d’un an, Wemby s’offre le luxe de se concentrer cet été sur un seul challenge de taille, son intégration au sein des Spurs en NBA, un club en pleine reconstruction.
F comme… FIBA
Accueilli en grandes pompes dès son arrivée au Texas par une délégation légendaire à San Antonio (David Robinson, Sean Elliott, Manu Ginobili et Tim Duncan), Victor Wembanyama a longuement discuté avec ses illustres prédécesseurs. Or, pour mémoire, Tim Duncan a participé à une compétition internationale avec Team USA en 2004, un échec cuisant pour lui et la sélection américaine sous la gouverne de Larry Brown. L’équipe américaine avait concédé 3 défaites face au Porto Rico de Carlos Arroyo (73-92), la Lituanie de Jasikevicius (90-94) et l’Argentine en demi-finale (81-89), se contentant du bronze. Le pivot des Spurs (10 points, 5 fautes en 20 minutes), excédé par les règles et l’arbitrage international, avait alors déclaré tout simplement: « FIBA sucks! ».
Si le sujet a été abordé lors du fameux dîner avec ces légendes, on se doute de ce que le rookie a pu entendre. On ne sera donc pas surpris si le staff des Spurs, Duncan en tête, ne compte pas en priorité sur les compétitions internationales pour accélérer le développement de leur jeune prodige en NBA. Ce qui n’empêchera pas Wemby de porter le maillot des Bleus, bien entendu, mais cela ne lui rapportera pas de points auprès des américains. Il va donc devoir faire preuve de souplesse, d’où cette première grosse concession stratégique.
Ceci dit, il y avait également à cette table le grand Manu Ginobili, l’un des responsables de la débâcle américaine de 2004, côté argentin (29 points dont 4/6 à 3 points, la victoire 89-81 en demi-finale de la World Cup, le 27 août 2004). Sans froisser Duncan, l’ailier pourra lui aussi donner, en douce, quelques clés à Wemby pour déjouer le piège américain aux prochains JO. Tout n’est donc pas perdu pour le Français en compétitions internationales. Wemby veille.